Chroniques

Avortement, ce mal marocain

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Tout le monde condamne ce «faux tabou» qu’est l’avortement au Maroc, mais tout le monde se cache derrière, une peur qui relève plus de l’hypocrisie face à un véritable débat de société.

«Au Maroc, 600 à 800 femmes avortent quotidiennement. Des relations sexuelles hors mariage existent bel et bien et des femmes tombent enceintes tous les jours. Le nombre des mères célibataires et des enfants non reconnus ne cesse d’augmenter. Les viols et les agressions sexuelles sont commis tous les jours et ce n’est pas la loi incriminant l’avortement qui réduit tous ces phénomènes. C’est la réalité et les chiffres officiels sont éloquents. Maintenir ce type de loi en flagrant décalage avec la réalité sociale est une manière de se voiler la face». Le ton est donné, sans ambages et avec clarté, par Bouchra Abdou, directrice générale de l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté, dans une interview accordée à notre confrère L’Observateur (26 septembre 2022).
Cette réalité qui ne souffre aucune ombre pose problème depuis des décennies et chaque année nous en sommes encore à soulever des questions et à poser le débat, mais en vain, puisque les années passent et rien n’est fait pour éviter des drames et des crimes comme celui de la mort tragique de Meriem, 14 ans, lors d’un avortement clandestin à Midelt. Un débat qui avorte constamment puisqu’il n’y a aucun engagement de la part du gouvernement marocain de trouver un cadre juridique adéquat pour régler cette terrible question de l’IVG une bonne fois pour toutes, loin de toute démagogie, de tout aveuglement face aux réalités sociales, sans hypocrisie ni idéologies éculées et assassines qui ont toujours droit de cité au Maroc. Les associations féministes réclament l’adaptation de la loi à la réalité marocaine pour sauver des milliers de vies.
Car, les médecins sont formels : à chaque fois qu’une femme passe sur le billard, elle risque d’y laisser la vie. Ce qui est le cas de milliers de familles qui ont perdu des membres de leur famille à cause de cette clandestinité barbare qui sévit et qui fait recette.
En effet, la loi du silence régit le milieu médical et quand les langues se délient elles requièrent l’anonymat. Tout le monde condamne ce «faux tabou» qu’est l’avortement au Maroc, mais tout le monde se cache derrière, une peur qui relève plus de l’hypocrisie face à un véritable débat de société. Tout le monde joue les redresseurs de tort, les alarmistes réformateurs, mais personne ne veut prendre ses responsabilités pour aborder le sujet avec plus de courage. À entendre plusieurs médecins, on croirait que la profession est gangrenée, que ceux qui osent dénoncer, en aparté, il faut le souligner, sont les bons et les autres, ceux qui préfèrent détourner le regard sont les méchants. En attendant, chaque jour amène son lot de curetages et son pourcentage de morts. D’abord quelques statistiques pour planter le décor : «Aucune étude statistique n’existe en la matière. On avance une moyenne de 1.000 gestes d’interruption par jour, relativement à l’ensemble du Royaume». C’est ce qui se dégage des documents officiels du ministère de la santé. Un chiffre plutôt inquiétant qui en cache d’autres. Selon d’autres sources, surtout des médecins ou des infirmiers, ce sont des centaines de femmes ou de jeunes filles qui se font avorter chaque jour. Il y a des cliniques où cela se fait sans problème. Et souvent, c’est chez le médecin lui-même que l’avortement a lieu. «Aucun curetage ou IVG (Interruption volontaire de la grossesse) n’est sans risque. En médecine, le risque zéro n’existe pas», nous confie un gynécologue. C’est aussi simple que cela, et selon le même médecin, «il ne faut pas se leurrer, les risques sont ou immédiats ou post-opératoires». Pour s’en faire une bonne idée, un tour dans les locaux des tribunaux du Maroc nous rafraîchit la mémoire. Des centaines, voire des milliers de dossiers et de jugements pour des avortements illégaux sont répertoriés. Ceux ou celles (médecins, infirmiers, jeunes filles, sages-femmes, 9ablat, etc.) qui ne passent pas à travers les mailles du filet trinquent et croupissent en prison.
Dans ce sens, le cœur du problème est la sexualité. Les jeunes n’ont aucune éducation dans ce sens. Ils doivent attendre le jour où un accident survient pour mesurer toute la gravité de la société où ils vivent. Modernes ou pas, je ne connais pas encore de Marocain qui va initier son fils ou expliquer à sa fille que la sexualité fait partie de la vie et qu’un jour il y aura des règles à suivre pour éviter certains problèmes. C’est de là que découle une partie de ce problème. D’où l’urgence d’ouvrir un réel débat sur les réalités de notre société en parlant de la sexualité des jeunes, en trouvant des solutions fiables et viables à cette problématique de l’avortement qui génère d’autres graves problèmes pour tous ces enfants nés dans la clandestinité et que l’on nomme à tort les «Nés sous X». Une formule bâtarde et dégradante dans une société qui préfère encore fermer les yeux que de voir ses réalités en face.

Par Dr Imane Kendili
Psychiatre et auteure

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