Le militantisme ne sied décidément pas au philosophe Alain Finkielkraut. Foreur en chef de la mémoire, guetteur de la lexicologie suspecte, il a un talent exceptionnel pour déplier les mots et transpercer les concepts. Mais, très souvent, la sobriété du penseur cède le pas à la nervosité du militant. Car Finkielkraut est en guerre: contre la «sous-culture», «les territoires perdus de la République» «le rap», les nouvelles «communautés revendicatives», «Dieudonné», «les droit-de-l’hommistes déchaînés» «les «indigènes de la République». Contre «la victoire du littéral sur le littéraire» et ce parlé des banlieues, ce « sabir simpliste, hargneux, pathétiquement hostile à la nuance et la beauté»….
A lui tout seul, Finkielkraut constitue une machine de guerre sémantique. Il est capable de vous faire une conférence de trois heures sur le sens d’un sms tant sa faconde est puissante. Et s’il devait rester, pour veiller sur le cercle magique de l’indignation, un seul mirador, Finkielkraut serait celui-là. Si le penseur a raison sur plusieurs points, il n’en demeure pas moins que sa part militante le rend suspect de toujours retourner les choses à l’avantage de ses combats intimes. Doté d’une forme d’inquiétude, presque salvatrice, elle se traduit, dans l’excès, par une forme vigilance pathologique. Plus habitué au cénacle feutré de l’école polytechnique, on le sent mal à l’aise sur le plateau-télé. Son inquiétude devient anxiété. Son mode de pensée, il est vrai, exige le confort du silence quand la télé favorise le brouhaha et la réflexion en pointillés. Il suffit qu’un contradicteur hache la réflexion de Finkielkraut pour que surgisse la détérioration de l’idée. Or avec la télé, ce qui importe, ce n’est pas l’idée, mais le peu de temps pour le dire. La dernière trouvaille de ce brillant intellectuel, c’est d’expliquer l’explosion de la violence urbaine en France par une «Francophobie». Voilà un verdict qui va certainement prospérer comme ce fut plébiscité le concept «islamophobie» porté, en son temps, par un certain Tariq Ramadan. Parallélisme des formes, c’est la surenchère des phobies. La concurrence des haines. Est-ce un hasard que tous deux se trouvent, côte à côté, dans une émission de télé, très en vogue (Riposte)? Je le dis, ni l’un ni l’autre ne sont porteurs de solutions, puisque tous deux font partie du problème. La violence en France prospère sur une diabolique mixtion de crises d’identités : Celle d’abord de la France qui voit se dissoudre son particularisme dans une mondialisation qui s’impose, par effraction, accouplée à une Europe grandissante. Mais aussi celle des enfants des immigrés, engoncés dans une citoyenneté imparfaite, inachevée et estropiée parce que justement greffées sur une altérité perturbée. On évoque mai 68 qui s’est fait sur la relation amoureuse. La comparaison à des limites. Ce qui est sûr, c’est que la violence de novembre se fait, elle, sur la relation au pacte républicain. Ou plutôt sur le défaut de sa stricte application. La surenchère des minorités et des mémoires, à laquelle on assiste, depuis un certain temps, ne facilite pas la tâche : colonisation algérienne, traite des noire, Vichy…tout y passe. Chacun veut son label de victime. Finkielkraut, parce que éclaireur, n’est pas dans son rôle quand il participe à cette escalade.