Chroniques

Point de vue : Dire pour construire et non dire pour détruire

© D.R

Au Maroc comme partout, les réseaux sociaux sont devenus des déversoirs de haine contre l’Autre -quel qu’il soit-, ils ont ouvert une vanne et comme toujours lorsque s’ouvre un sas, le manque de maîtrise de l’outil fait que le meilleur et le pire s’y côtoient.

La jeunesse est tout particulièrement en train de «tester» ces outils, certes nouveaux, mais avec lesquels les générations actuelles sont nées.

Les formes d’expression ont changé et les jeunes -notamment- percevront toute tentative de régulation comme une volonté de censure, une tentative de limiter la liberté d’expression. Les réseaux sociaux, le rap, les terrains de foot sont devenus des tribunes, des espaces de revendication et de dénonciation, ils le sont devenus sous l’impulsion de la jeunesse certes, mais ils le sont aussi devenus car nulle part ailleurs l’opportunité de «dire» n’est offerte : les meetings des partis politiques n’attirent que les militants, les syndicats ont une portée très limitée, les grandes organisations de jeunesse sont en déshérence, les Maisons de jeunes ne sont plus un espace de création et d’expression depuis longtemps, les émissions de débat dans nos médias sont rares… il fallait donc que notre jeunesse trouve – ou s’invente – de nouveaux canaux.

Le rap, comme les stades, comme les réseaux sociaux sont donc «victimes» de leur succès : ils sont à la fois des soupapes, des moyens d’expression – non sans talent d’ailleurs – mais dans le même temps objet de tous les excès, où l’injure, le dénigrement, la diffamation peuvent prendre le pas et attaquer le lien social. Croire que seul le Maroc est en proie à ce phénomène est faux, il suffit de s’intéresser à l’actualité internationale pour en mesurer l’ampleur.

Reconnaissons-le, nous sommes dans une spirale d’émulation, de surenchère dangereuse et nombre de jeunes se font piéger: dans le meilleur des cas il y a maladresse, dans le pire il y a atteinte aux personnes, aux institutions. Qui explique cela, qui affronte le problème de face, qui tente de répondre aux cris de cette jeunesse, à ces mots qui «disent» ?

C’est précisément l’absence de réponse qui pousse aux excès…

Les condamnations récentes de jeunes rapeurs, de jeunes blogueurs sont vécues comme des atteintes à la liberté d’expression, et comment ne pas percevoir les peines auxquelles ils ont été condamnés comme un échec collectif ?

La question à laquelle il est urgent de répondre est bel et bien : «Comment concilier liberté d’expression et ordre public», impossible de ne pas s’y atteler pour y répondre car sinon le risque existe de voir la spirale nous emporter tous. C’est la raison qui doit l’emporter au risque de voir les extrêmes – de tous bords – nous prendre tous en otage. A mon très modeste niveau je pense qu’il est urgent d’ouvrir le vrai débat qui s’impose : «La démocratie est-il ce pouvoir de tout dire, y compris des insultes ?»

Je ne pense pas qu’une seule personne ait la réponse, d’où la nécessité d’en débattre tous ensemble – jeunes y compris, jeunes surtout – car ces jeunes en s’exprimant sont peut-être maladroits pour certains, mais ils ont en tout cas le mérite de «dire» et hélas les voix qui devraient elles aussi porter le fer dans la plaie de nos manques, de nos erreurs, de nos maux ne le font pas.

Quelque part ces chants, ces banderoles, ces posts sont les seuls à exprimer les sentiments de la rue, de la jeunesse… y compris les outrances.

L’enjeu est là : «dire» pour construire, pour remédier à nos maux, pour aller de l’avant et non «dire» pour détruire, pour diffamer, pour déstabiliser. C’est une ligne d’équilibre qu’il nous faut trouver, museler n’est pas la solution, il nous faut dialoguer, redonner des perspectives, s’attaquer à résoudre nos problèmes les plus criants : l’injustice sociale, l’absence d’ascenseur social, le manque d’équité, de probité. Le risque encouru pour la pertinence de l’expression est aussi son dévoiement, son détournement à des fins avouées ou non avouées, et là les jeunes risqueraient de devenir alors des «outils» utilisés pour d’autres objectifs.

Mais soyons confiants dans l’aptitude de notre jeunesse à comprendre les enjeux, il faut s’asseoir avec ces jeunes et là aussi «dire» les choses, ils sont bien évidemment capables de saisir où est l’intérêt commun, à 20 ans il y a légitimement l’impatience -qui ne justifie certes pas tout- mais à laquelle ne peut évidemment répondre l’inertie.

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