Culture

A bâtons rompus : Le plaidoyer de Zakia Daoud

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ALM : En tant que journaliste et écrivain, que pensez-vous de la mission  de l’intellectuel dans la société ?
Zakia Daoud : C’est très difficile de qualifier le travail des intellectuels. À l’époque de Lamalif, on écrivait des centaines d’articles sur ce sujet, mais nous ne sommes jamais arrivés à une solution. C’est aux intellectuels eux-mêmes de donner une certaine vision cohérente sur ce thème. Mais si on veut revenir réellement sur le rôle de l’intellectuel, c’est de contribuer à enrichir les débats qui, eux mêmes, pourront aider à créer une certaine prise de conscience.
Mais ce qu’on remarque c’est que pendant l’époque de Lamalif, les intellectuels qui faisaient partie du groupe s’exprimaient plus. Ils avaient plus d’idées et étaient plus productifs. Il faudrait rappeler que ceci se passait dans les années 70, une époque qui était caractérisée par un foisonnement d’idées culturelles. Les écrivains étaient engagés de par leur pensées et leurs idéaux. Ceci faisait partie d’un contexte global et mondial. Mais pour pouvoir savoir quel est le rôle de l’intellectuel il faudrait qu’on puisse d’abord définir ce qu’est un intellectuel.

Quelle est justement votre définition de l’intellectuel ?
L’intellectuel est d’abord un penseur. C’est quelqu’un qui réfléchit. Qui a une prise de position. Tous les écrivains ne sont pas des intellectuels. On trouve des professeurs universitaires qui peuvent être intellectuels et ceux qui ne le sont pas. Les intellectuels n’ont pas de pouvoir, ce ne sont pas des technocrates, donc forcément, ils ne sont pas entendus, ou plutôt ils ne sont pas pris au sérieux.

Pensez-vous qu’il y a actuellement un vide culturel ?
On ne peut pas dire qu’il y a un vide. Cependant, ce qui est sûr, c’est qu’il y a en ce moment une certaine accalmie observée par le milieu culturel. Mais cette situation n’est pas propre uniquement au Maroc. On retrouve cet état de fait dans le monde entier. En réalité, cette situation s’inscrit dans une configuration internationale. Cette impression de vide ou plutôt de calme n’est pas spécifique au Maroc. Cela concerne d’autres pays, pour ne pas dire le monde entier.

Mais qu’est-ce qui a provoqué cette accalmie ? 
Vous savez, ce sont des périodes. Il y a des moments où les gens sont impliqués et d’autres moments où ils s’écartent de la scène. C’est vrai que pendant les années 60-70, les gens étaient plus actifs, prenaient position, s’exprimaient sur les sujets les plus complexes et levaient haut leurs voix.
Peut-être qu’ils se disent actuellement que tous les efforts qu’ils ont réalisés n’ont pas été pris en considération et qu’aujourd’hui, ils baissent les bras. Mais, ceci dit, on ne peut pas affirmer qu’il y a un vide. Je pense personnellement que les gens ont maintenant d’autres préoccupations. Les choses se déroulent à une vitesse de croisière tellement rapide qu’on ne suit plus. Pris dans un tourbillon où le contexte mondial impose sa force, on a l’impression qu’il n’y a plus d’idées qui sont saillantes et que les intellectuels ont baissé la garde.

Vous avez participé dans les activités de plusieurs associations. Quel est, selon vous le rôle de la société civile ?
Je pense que la société civile a un grand rôle à jouer. J’ai assisté au travail de plusieurs associations dont notamment : «Migration et Développement ». Et j’ai remarqué au cours de mes multiples enquêtes que la société civile commence à avoir un poids de plus en plus conséquent. Je suis très optimiste quand au rôle que peuvent jouer les associations dans le développement du pays. Par moment, on serait même tentés de dire que les associations peuvent réaliser un travail plus utile que celui de l’Etat.
Les associations doivent, certes agir, en concertation avec l’Etat, cependant, l’Etat ne doit pas faire obstacle à son travail. Pour donner un exemple, les membres de l’association migration et Développement ont œuvré pour la mise en valeur de certains villages du sud. Des villages qui n’avaient ni eau, ni électricité. Ils ont pu avec leurs propres moyens creuser des puits et électrifier les villages. Leur atout c’est qu’ils savent parler aux habitants, ils n’imopsent pas leurs solutions, ils essaient plutôt d’appliquer la solution des concernés. Celle des populations. L’Etat par contre, impose ses solutions. Les associations commencent aujourd’hui à dire ce que les partis ne disent plus.

Il y a quelques temps vous avez manifesté l’idée d’écrire l’histoire de Lamalif. Où en est ce projet ?
J’ai voulu écrire l’histoire de cette revue qui dérangeait. J’ai commencé, il y a quelques temps déjà, à m’occuper de ce projet, en parallèle avec mes autres travaux. L’idée c’est d’écrire l’histoire de Lamalif en la croisant avec celles des écrivains et des penseurs qui contribuaient avec leurs écrits. C’est une façon de revenir sur les pas de l’expérience de Lamalif. Ce sont 20 ans d’existence qu’il faut réécrire.

Et vous comptez le faire toute seule ?
Non. Au départ, j’ai sollicité l’aide de plusieurs écrivains, ceux qui faisaient partie du groupe de Lamalif. Cependant, ils n’avaient pas l’air d’être motivés par cette idée. Je n’ai pas voulu insister.
Mais j’ai compris qu’ils ne voulaient pas revenir sur une époque et une expérience qui étaient assez douloureuses. Ils ne veulent peut-être pas se remémorer cette époque. C’est vrai qu’il faut quasiment 15 ans de recul pour réécrire cette expérience. Ce n’est pas une tâche des plus faciles. Alors personne ne veut participer. Mais je ne leur en veut pas. Chacun à ses raisons.
Et j’ai les miennes aussi. Alors, ce n’est pas ce qui va m’empêcher d’abandonner ce projet. Je veux relever le défi d’écrire l’histoire de Lamalif et si personne ne veut participer avec moi, je finirais bien par le faire toute seule.

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