Salaheddine El Ayoubi, sans doute le connaissez-vous. En effet, ce personnage historique incarne patience et endurance. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que ce symbole est aussi le nom d’une pente sur laquelle se trouve le Gran Teatro Cervantes de Tanger. Situé au pied de cette pente, cet édifice rappelle, aussi et curieusement, une légende vivante : celle de Sysyphe qui peine à arpenter la montagne pour remonter son rocher jusqu’au sommet. Mais voilà, semble nous dire le Gran Teatro Cervantes, la peine et la patience ont des limites. Construit en décembre 1913, en même temps que le fut le Théâtre des Champs-Elysées (France), le Gran Teatro Cervantes risque aujourd’hui de livrer son âme. Après avoir vu se produire, des décennies durant, de prestigieuses personnalités du monde du spectacle, tel que le célèbre Federico Garcia Lorca.
L’attrait époustouflant de cet édifice ne s’était pas limité à nos voisins espagnols, bien des troupes venaient de France, ou plus encore d’Italie, donner leurs spectacles dans ce chef-d’œuvre édifié avec la patine d’un orfèvre. Ce prestige n’était pas un feu d’artifice, loin de là. Au total, 61 ans de rayonnement non seulement sur la ville du Détroit, mais aussi à l’autre bout de la Méditerranée. L’an 1974 marque le début d’une débâcle annoncée, après la cession de ce théâtre, -une propriété espagnole-, à la municipalité de Tanger en contrepartie d’un dirham symbolique. 31 ans plus tard, jour pour jour, ce théâtre fut livré en pâture à l’inconscience. Voire. Au vol. Zoubir Ben Bouchta, auteur dramatique tangérois, en a gros sur le cœur. «Les anciens décors, les toiles de grands artistes-peintres espagnols et autres accessoires ont été volés», s’indigne-t-il. «Scandaleux», martèle-t-il. Abdelkbir Rgagna n’en revient pas non plus. «Même les chaises n’ont pas été épargnées, pas plus que ne l’ont été les murs aujourd’hui écaillés, ou encore une tapisserie râpée, ce qui fait que l’intérieur a été complètement siphonné», fait-il constater, bouleversé. Plus bouleversant encore, une décharge publique élit domicile depuis quelque temps à proximité de cet édifice historique. Les odeurs nauséabondes en rajoutent au spectacle affreux qu’offre aujourd’hui ce théâtre : vitres cassées, grilles et porte rouillées, perron décarcassé, murs noircis…
Seul « survivant » de cet édifice, la grande inscription « Gran Teatro Cervantes » qui résonne comme une stèle sur un tombeau. Ce silence de mort continuera-t-il donc à planer sur cet édifice ? Ou les autorités locales vont-ils enfin se réveiller pour sauver ce qui peut l’être ? La question a été soulevée en août dernier à Assilah, lors d’un colloque intitulé «Le patrimoine hispano-marocain, quel avenir ?». Invité à ce colloque, le ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Moratinos, avait déclaré que la réhabilitation du Gran Teatro Cervantes était à l’ordre du jour du gouvernement Zapatero. Des fonds seront probablement débloqués en 2006 pour la restauration de ce théâtre. Pas plus tard que vendredi dernier, des députés du Conseil provincial de Cadix en visite à Tanger ont promis pour leur part de chercher des financements pour sa sauvegarde. Pour donner à cette opération un cadre institutionnel, une association d’amitié hispano-marocaine devra être mise sur pied. Le projet de création de cette association serait à l’étude.
Du côté de nos autorités locales, motus et bouche cousue.
Ce n’est pas digne d’un haut lieu de mémoire comme le Théâtre de Cervantes, sans parler de la Plaza de Toros, du Stade de football « Souani » et autres joyaux historiques de la ville de Tanger.