L’ ambiance était très tendue au cours de la réunion de la session du conseil national du Patronat le mardi 22 octobre. Elle est devenue même électrique quand le président de la fédération des assureurs, Azzeddine Guessous, a pris la parole.
Certains dirigeants de fédérations affiliées à la CGEM ont même quitté la salle, comme Adnane Debbagh, président des PME-PMI et Bouchaib Benhamida président de la FNBTP. C’est dire que Guessous ne devait pas annoncer une bonne nouvelle à ses collègues d’autres secteurs. Bien au contraire, les représentants de toutes les fédérations attendaient avec impatience le président de la FMSAR pour lui faire savoir leur mécontentement. La pomme de discorde étant, bien sûr, l’augmentation substantielle de la prime d’assurance l’accident de travail. Le taux mais aussi la manière dont cette décision a été prise par les assureurs ont soulevé un tollé général chez les chefs d’entreprises. Pour annoncer cette mauvaise nouvelle, la fédération des assureurs a choisi la mauvaise méthode du fait accompli. La FMSAR a en effet adressé à ses clients des lettres-avenants dans lesquelles elle les informe de l’augmentation de la prime d’assurance AT de 132%.
Cette lettre était ponctuée par un paragraphe dissuasif qui frise l’ordre des monopoles d’antan, voire la mise en demeure d’une autorité judiciaire. Admirez le ton sec, formel et … assuré : » Nous attirons votre attention que ledit avenant doit être retourné à notre compagnie dûment signé par lettre recommandée avec accusé de réception avant le 18 novembre 2002. À défaut, le contrat accident de travail qui nous lie sera résilié de plein droit dans tous ses effets et sans autre avis à compter du 18 novembre 2002 à minuit.» Cette date butoir n’est pas fortuite puisque le 19 novembre la loi n 18/ 01 relative à la réparation des accidents de travail prendra effet. Une loi qui a été adoptée par le Parlement et qui était passée inaperçue dans la cohue qui a précédé les élections législatives.
Certains opérateurs économiques n’hésitent pas à faire la corrélation entre le timing de son approbation avec des considérations électorales. Le ministre de l’emploi, Abbas Fassi est mis, à tort ou raison, dans le collimateur comme il a été mis, à juste titre, à l’index pour la rocambolesque affaire de l’ANAPEC. Sauf que cette fois-ci ces accusateurs sont constitués dans une puissante association économique qui s’appelle la CGEM. Le comble est que cette loi a réussi la gageure de déplaire à tous les partenaires sociaux y compris les syndicats, le patronat et les assureurs qui sont aujourd’hui en première ligne. Il est vrai que cette loi a un caractère social bénéfique par la généralisation de la protection des salariés contre les accidents de travail.
L’assurance AT est devenue obligatoire et permet aux salariés de bénéficier d’une indemnisation intégrale en cas d’accidents de travail. Mais cette loi peut aussi avoir de graves incidences sur les entreprises, les assurances, voire les salariés si ses textes d’application ne cernent pas bien certaines de ces clauses. La fédération des assureurs estime qu’en généralisant cette réparation, le rapport prime/ sinistre serait désastreux pour les compagnies. C’est cet argument qu’ils mettent en avant pour justifier l’augmentation de la prime d’assurance AT de 132%, d’autant plus qu’il n’existe plus de plafonnement annuel dans le remboursement des indemnités. Le Patronat n’est pas contre le principe de la généralisation de cette assurance, mais la CGEM considère que certaines clauses de cette loi sont pénalisantes pour les entreprises.
Dans un communiqué publié récemment, le patronat souligne qu’il a mis en garde le ministre de l’emploi dés début 2002 de la mise en place d’un tel schéma d’indemnisation. Le cri d’alarme résonne vrai : « La CGEM souligne que le maintien en l’état d’un tel texte, dénaturerait la portée sociale de la couverture «accident de travail», encouragerait les déclarations complaisantes et fragiliserait le niveau de compétitivité de l’entreprise marocaine, déjà suffisamment menacée aujourd’hui» L’augmentation de la prime d’assurance AT est venue enfoncer davantage le couteau dans la plaie de la trésorerie des entreprises notamment les PME et PMI.
Le surcoût engendré par cette augmentation aggraverait le volume des dépenses en charges sociales de l’entreprise, et met ainsi en péril sa compétitivité. Un directeur d’une PME n’a pas mâché ses mots : «On nous a mis devant le fait accompli en nous imposant une loi sans que l’on suscite le moindre débat sur ses textes. En augmentant la prime d’assurance At, on veut nous saigner et par conséquent rendre cette loi plus antisociale que sociale. On ne peut supporter une augmentation qui représente 15 à 20 % de la masse salariale. À moins que l’on nous oblige à fermer la porte faute de compétitivité, à réduire les salaires, voire à supprimer des postes pour démontrer à l’Etat que cette loi peut se transformer en une loi antisociale.» Le comble, c’est que même les partenaires sociaux ne sont pas satisfaits de cette loi qui a réussi à mettre tout le monde d’accord sur l’inopportunité de certaines de ses clauses.
Le secrétaire général de l’UGTM, Abderrazak Afilal, trouve bien à redire sur cette loi : « Nous avons toujours milité pour que la couverture des accidents de travail ne soit pas assurée par les assureurs. Pour la simple raison que nous voulions qu’elle devienne une prestation fournie par la CNSS comme toutes les autres prestations. Ce faisant, tout le monde en profitera car elle sera un vecteur de solidarité pour tous les salariés dans les secteurs les plus mal structurés. Ceci étant nous continuerons à défendre cette thèse, car, à ma connaissance, rien n’est encore tranché sur ce dossier» C’est dire combien le flou est total dans un accident de travail qui a suscité un branle bas chez tous les opérateurs aussi antinomiques qu’ils soient. Est ce à dire que cette pomme de discorde pourrait être atténuée par l’ajustement des textes d’application de cette loi.
Dans tous les cas, si l’argument de l’aggravation des risques émis par les assureurs semble tenir d’une manière inversement proportionnelle avec le taux d’augmentation de 132% de la prime AT. Il reste que cette décision unilatérale va à l’encontre de la loi sur la concurrence. On ne peut concevoir que dans un système libéralisé depuis juillet 2000, une corporation comme celle des assureurs puisse décider une augmentation d’un produit pour tout le secteur. Où se trouve la concurrence quand le client est soumis à la même tarification chez toutes les compagnies. Cette façon de faire relève plutôt du monopole pur et dur que d’un marché dit libéralisé. La contradiction est flagrante.