Après quelques décennies de processus démocratique, avec plus de bas que de hauts, les socialistes marocains et leurs alliés avaient une lourde tâche. Sans expérience gouvernementale, mais avec une grande culture de l’opposition, Youssoufi et son équipe avaient beaucoup de pain sur la planche. Les anciens gouvernements qui s’étaient succédé au pouvoir ne disposaient pas d’une base politique qui pouvait les accompagner dans l’action gouvernementale. Des partis souvent qualifiés de « mal élus », de « formations de l’Administration » et accusés, souvent à raison, de mauvaise gestion et de manque de vision.
Tout était indiqué pour que l’alternance change les moeurs de la pratique politiques. Elle réussit quand même à assainir le cadre général. Beaucoup de textes ont vu le jour. Et c’est surtout la « transparence » du processus électoral, jadis accusé de tous les maux, qui donne lieu à des résultats peu enviables. Une arme à double tranchant. Plus aucune excuse pour prétendre représenter l’exclusivité ou la majorité des masses populaires. Cette nouvelle réalité doit pousser les partis de la mouvance démocratique à redoubler d’efforts et de réflexion pour reconquérir les bastions délaissés aux islamistes et aux «forces de la stagnation». Tout un travail en profondeur persévérant. L’éparpillement des voix et des forces du changement n’a pas permis leur reconduction nette et claire. La carte politique dégagée reflète réellement la démission politique et l’abandon de certaines valeurs politique.
Les rangs de la majorité silencieuse se sont amplement grossis, au point qu’on la présente, avec le PJD, comme les seuls vainqueurs du scrutin du 27 septembre 2002. Certes, il y a eu le recul net d’anciennes formations qui ont participé à « la faillite du pays », mais cela ne s’est pas opéré au profit de leurs adversaires. En d’autres termes, les partis de la Koutla n’ont pas investi leur présence dans le gouvernement pour renforcer leurs positions politiques et élargir leurs bases. Le capital confiance, accumulé pendant de longues décennies, n’a pas été capitalisé. La faute n’incombe pas seulement aux luttes intestines et aux tiraillements politiques entre les tendances et des personnes au sein du même parti. C’est surtout le champ de l’action politique, explicative et entraînante, qui a été déserté. Les derniers résultats sont venus, sur le tard, pour donner toute la mesure du décalage et tracer les limites entre le rêve et la réalité. C’est d’ailleurs ce qui explique, en partie, les tractations toujours en cours avec le nouveau Premier ministre Jettou (sans étiquette politique). L’Etat exigerait aujourd’hui beaucoup plus des partis politiques, plus particulièrement des formations ayant fait partie du gouvernement Youssoufi. Aux uns, il est demandé des listes des ministrables en vrac, sans aucune garantie de tenir compte des préférences ou « exigences », en matière d’hommes et de porte feuilles, des bureaux politiques. Aux autres tout simplement des « maroquins » symboliques, sans aucune opportunité de travail en profondeur.
Au fil des jours, les prétendants se rendent compte de certaines évidences. Telle une entreprise, le nouvel Exécutif subirait une mise à niveau générale. Il commence à se familiariser avec les nouveaux concepts et valeurs, qui rappellent les unités de production. Plus rien à voir avec la conception du passé, basée sur le tout politique. Au nom de ce dernier, on pouvait prétendre à tout. M. Jettou ne semble pas enthousiaste à ce que Dame politique décide de tout. D’où l’enlisement actuel, alors que la majorité existe depuis ce fameux jour où les Istiqlaliens ont fait table rase sur le passé récent avec leurs ex-alliés de l’USP et voté pour Abdelouahad Radi au Perchoir.
Une bonne leçon pour l’avenir immédiat et proche. Les enseignements en seront-ils tirés ?