Société

France : Les démons de l’islamisme (55)

© D.R

Le conseiller de Vaillant s’emmêle les pinceaux
Paris, 12 mars 2002

À cinquante-deux ans, Alain Billon porte la barbe, des costumes bien taillés et un noeud papillon qui lui donne des allures de dandy distant. Cet inspecteur général de la construction fut député socialiste de Paris de 1981 à 1988 et conseiller régional d’Ile-de-France de 1986 à 1992. Si sa carrière politique ne laissera guère de souvenirs qu’à ses proches, ce géographe de formation restera surtout dans l’histoire de l’Islam de France comme le meneur de la consultation initiée par Jean-Pierre Chevènement et poursuivie par Daniel Vaillant. Pendant cinq ans, au cabinet des deux ministres, Alain Billon s’attache à bâtir les fondements du Conseil français du culte musulman. La défaite de Lionel Jospin à l’élection présidentielle de mai 2002 l’empêchera de conclure.
Malgré ses offres de service appuyées, l’équipe de Nicolas Sarkozy le congédie. L’ancien secrétaire national du Mouvement des citoyens n’a pas démérité dans sa tâche. Mais voilà : son action ne fait pas l’unanimité.
Alain Billon présente d’abord une particularité : s’être converti à l’Islam pour pouvoir épouser une Marocaine. «Une convertion formelle», assure l’ancien conseiller. «Un faux dévot», soupire un diplomate. S’étant parfois targué d’avoir été le premier député musulman, Billon s’est servi de sa confession pour arguer de sa bonne volonté. À son arrivée, Nicolas Sarkozy préfère s’adjoindre un conseiller catholique bon teint, ancien officier de marine, Vianney Sevaistre, qui est en même temps le chef du bureau des cultes. Un jour, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, claude Guéant, reçoit sur son bureau un dossier délicat pour Billon. À l’intérieur, des documents attestent que l’ancien conseiller chargé de l’Islam a oublié de se conformer à quelques règles élémentairess. En substance, il a entretenu de curieuses accointances avec une société privée algérienne, le groupe Khalifa, du nom d’un jeune milliardaire dont l’ascension fut toujours suspecte. Présente dans les secteurs du transport aérien, de la banque, de la location automobile et des médias, la sociéé s’est effondrée aussi vite qu’elle avait surgi. À l’époque où le jeune P-DG de trente-huit ans, Rafic Khalifa, vit une success story hors du commun, Alain Billon le rencontre à plusieurs reprises. Depuis, le «milliardaire algérien», soupçonné de blanchiment, fait l’objet d’un mandat d’arrêt et vit réfugié à Londres. «C’était à l’époque un personnage incontournable», se justifie Billon. Quel lien entre les businessman international et la gestion des mosquées? Sur le sujet, l’ancien conseiller n’est guère bavard.
Alain Billon a d’autres cartes de visite. Au sein du groupe Khalifa, il entretient aussi des contrats étroits avec Raghid el-Chammah. Cet homme d’affaires franco-libanais de quarante-sept ans s’occupe de la communication festive du flambeur algérien. Ancien journaliste, fondateur de Radio-Orient, Chammah est un lobbyiste professionnel. Proche du Premier ministre libanais Rafic Hariri, il fut conseiller du commerce extérieur de la France jusqu’en 2003. Dans le hall de son appartement, avenue Foch à Paris, des photos le montrent serrant la main du roi Hussein de Jordanie, Yasser Arafat ou Bill Clinton. Sa société Euromed Group assure la promotion du président tunisien Ben Ali. L’homme a de l’entregent. Il sait jouer de son influence, pour les grands et petits dossiers. Fin 2002, Chammah veut embaucher une ressortissante philippine comme «employée de maison». Mais la domestique n’est pas en règle. Billon décroche son téléphone. Il intervient auprès du ministère des Affaires sociales, qui accorde à la Philippine une carte de séjour avec la mention salariée, «à titre exceptionnel».
Les «coups de pouce» sont certes monnaie courante dans les cabinets ministériels. Mais Alain Billon les multiplie en faveur de Khalifa. À l’époque, il est aussi en contact régulier avec la tante du jeune Algérien un temps considéré comme un instrument des militaires de son pays, Djaouida Jazaerli. Présidente de Khalifa Airways France, puis directrice générale de Khalifa Télévision, celle-ci est une femme de caractère, influente dans le microcosme musulman. Elle a fait ses armes à la Grande Mosquée de Paris dans les années 80. Arrivée comme secrétaire, elle a su gagner la confiance du recteur, le cheikh Abbas, dont elle deviendra la directrice de cabinet. Lorsque Jean-Pierre Chevènement lance la «consultation», elle fait du lobbying pour son protégé, Soheib Bencheikh, fils de feu le cheikh Abbas. Elle en profite pour évoquer le cas de son neveu Khalifa, qui tente d’implanter sa société en France. Djaouida Jazaerli embauche d’ailleurs l’épouse d’un fonctionnaire du bureau des cultes. «Sans contrepartie», assure-t-elle.
Billon se montre très aimable. «Lorsque le groupe Khalifa a eu besoin de visas d’entrée pour son personnel technique, le ministère de l’Intérieur a débloqué la situation», affirme un observateur. À une époque, Khalifa Airways envisage d’organiser le transport de pèlerins vers La Mecque. Un marché extrêmement lucratif : plus de vingt mille fidèles effectuent chaque année le déplacement depuis la France. Les réseaux fonctionnent à plein régime. Des responsables de Khalifa actionnent des contacts au ministère des Transports. Pour la mise en place de charters vers la ville sainte, l’un des partenaires pressentis du groupe algérien n’est autre que la société Air Lib. Curieux hasard : le numéro deux de cette société aérienne, Pascal Perri, Français lui aussi converti à l’Islam, a créé autrefois l’association Islam et République avec… Alain Billon. Censée favorisée «l’intégration complète du fait musulman en France», Islam et République était composée en grande partie de francs-maçons. D’ailleurs, Billon est membre de la loge «Le Monde» du Grand Orient.
En mai 2002, Alain Billon quitte son bureau de la place Beauvau. Adieu la voiture de fonction. Khalifa sait se souvenir du bon accueil réservé au ministère de l’Intérieur. La société de location de voitures du groupe, située boulevard Pereire à Paris, met pendant plusieurs mois une Mercedes à la disposition de l’ancien conseiller ministériel. L’homme de confiance de Khalifa, Djamel Guelimi, signe le contrat de prêt le 12 mars 2002. En février 2003, Guelimi se fera interpeller à l’aéroport d’Alger alors qu’il revient en France avec une valise remplie de 2 millions d’euros.
Pourquoi avoir rendu service à l’ancien conseiller ministériel? «Pas de commentaire», bougonne Alain Billon, Brusquement contrarié lorsqu’on l’interroge sur le sujet. En février 2003 toujours, Billon emprunte 45.000 euros à l’un des hommes-clés de la «consultation» sur l’Islam de France. Le taux défie toute concurrence : zéro pour cent. Il est vrai que l’Islam interdit le prêt à intérêt. Heureux hasard! Gérant de société, le prêteur, qui siège aujourd’hui au bureau du CFCM, assure avoir fait un geste par souci de «venir en aide» à Billon. Il se plaint aussi de ne pas avoir été remboursé dans les temps. Lors d’une réunion du CFCM, ce sujet est mis sur la table. Mais il est décidé de ne pas donner suite, au motif qu’il s’agit d’une «affaire privée». L’Islam redécoré aux couleurs de la République suit parfois curieux chemins.

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