Société

«Le drame de l’islam, c’est la panne d’interprétation»

© D.R

ALM : Le titre «La maladie de l’Islam», est-ce de vous ?
Abdelwahab Meddeb : C’est moi, d’une manière absolue, mais l’éditeur m’a encouragé. Ce titre n’a pas été apprécié au Maroc. Certains intellectuels l’ont jugé contre-productif. Il est très clair, mais non dépourvu d’ambivalence. Les mauvaises volontés sont allées dans le sens où l’islam serait une maladie. C’est l’islamisme qui est la maladie de l’Islam! Je suis à la fois essayiste et poète. J’aime la parole dense et porteuse de sens.
Mais vous avez conscience que c’est un titre provocant ?
La provocation ne me dérange pas. Je suis très provocateur. Un des effets constitutifs de la civilisation à laquelle nous appartenons, c’est la provocation. Nous avons oublié le travail de la provocation. En ce sens où elle incitait à sortir des normes, des sentiers battus. Pour revenir au titre du livre : dès la fatwa, prononcée contre Salman Rushdie, je me suis dit : “décidément, nous sommes dans une phase aiguë de la maladie“. L’expression que j’avais en réserve a émergé lors du 11 septembre.
Vous avez établi des raisons internes et externes à l’émergence de l’intégrisme. Pouvez-vous expliquer les raisons internes ?
Il y a quelque chose dans la lettre fondatrice qui prédispose à cette maladie. Les germes qui sont dans cette maladie ne sont pas propres à l’Islam. Nous les trouvons dans la Bible. Le problème et la difficulté de l’intégrisme, c’est qu’on peut trouver la légitimité de la posture des intégristes jusque dans ses extrêmes positions en se fondant sur la lettre coranique. Mais Dieu merci, cette lecture est loin d’être exclusive. Bien d’autres lectures ont été faites dans la tradition du texte sans être porteuses d’intégrismes. La lettre coranique, soumise à une lecture littérale, peut résonner dans l’espace balisé par le projet intégriste. Au lieu de distinguer le bon Islam du mauvais, il vaut mieux que l’islam retrouve le débat et la discussion, qu’il aménage une place au désaccord et à la différence. Qu’il accepte que le voisin pense autrement.
Et vous déplorez ce manque de débat …
Toute lettre, quelle qu’elle soit, implique forcément une pluralité d’interprétations. L’interprétation peut parfois neutraliser la lettre porteuse de maladie. Le drame de l’Islam, c’est la panne d’interprétation. Cette interprétation s’ouvre vers la pluralité du sens et met fin à l’univocité. Si on était dans le moteur de l’interprétation, on serait passé de la violence des armes à la violence de la controverse. De la guerre à feu et à sang à la joute des mots.
Vous regrettez aussi ce que vous avez appelé la pudibonderie ?
Une des étonnantes ruses de l’Histoire, c’est le transfert de l’esprit des Mille et une nuits du Moyen-Orient arabe à l’Occident. Quel choc en fréquentant la société du Moyen-Orient arabe ! Elle est pudibonde, plus chrétienne qu’islamique. En un siècle s’est opérée une très spectaculaire inversion. Il est urgent de suivre le parcours d’une telle genèse, qui a fini par produire des monstres qui ont transformé une tradition fondée sur le principe de la vie et le culte de la jouissance en une lugubre course vers la mort.
Comment expliquez-vous ce nouvel état d’esprit ?
C’est le résultat du ressentiment. En tant qu’état psychologico-psychique, le ressentiment est tout à fait neuf dans le monde islamique. Nietzsche citait les Arabes parmi les peuples qui ignorent le ressentiment. Le Maroc est profondément atteint par la maladie de l’Islam, mais moins que les autres, parce qu’il secrète des anticorps grâce à l’aristocratie des humbles. Ailleurs, le ressentiment a été ravageur. Il a généré le rêve révolutionnaire d’une refonte, un retour au puritanisme.
En ce qui concerne les raisons externes qui favorisent l’émergence de l’intégrisme, vous avez cité Israël et les USA…
Face à cette situation, il faut rappeler une fois pour toutes deux choses élémentaires, à savoir que l’alliance entre Israël et les Etats-Unis d’Amérique n’est pas seulement une alliance politico-militaire. Elle est aussi théologique. Henry Laurens, le grand historien de la Terre Sainte, a établi le fait que l’idée sioniste était évangéliste-protestante, formulée dans la tradition anglo-saxonne depuis la fin du 18e siècle. Elle était donc évangéliste avant de devenir une visée politique juive. Le bon sens exigerait de travailler à son propre renforcement pour pouvoir compter dans le monde d’aujourd’hui.
Le bon sens porterait à oublier la Palestine pour revenir vers elle après avoir acquis les moyens pour être entendu. Mais tout le monde sait que la focalisation sur la Palestine constitue un alibi idéal pour que les régimes en place ne s’occupent pas de ce qui compte dans les rapports de force.
Quels remèdes préconisez-vous à l’intégrisme qui est, selon vous, la maladie de l’Islam ?
L’intégrisme ne tombe pas du ciel. Il est instillé dans l’enseignement. Le système mis en place par l’Arabie saoudite ne peut produire que des Ben Laden. La réforme de l’école me semble urgente. La déficience de représentation laisse également le champ libre à l’intégrisme. Il faut investir le champ de la représentation par les arts de l’image, de la scène. La poésie et le roman créent une occupation de l’espace contraire à la vacuité si propice à l’émergence de l’intégrisme.

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