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Reportage, un visa pour l’Italie : Le chemin de croix des exilés volontaires

© D.R

Chaque matin, à l’entrée de l’annexe du  consulat d’Italie à Casablanca, à quelques pas du mythique immeuble 17ème  étage, une file d’attente rassemble un grand nombre de candidats à l’immigration. Frappés de plein fouet par le soleil matinal, ils sont aujourd’hui, à 10 heures tapantes, au moins une soixantaine. Ils sont venus des quatre coins du Maroc pour monter leur dossier et retirer leur visa pour l’Italie.  Certains d’entre eux  s’activent et règlent les derniers détails de leurs dossiers.

D’autres, lassés par l’attente, cherchent un abri sous l’ombre. C’est la dernière ligne droite pour Said qui vient d’Agadir. «Le contrat de travail italien est la clé pour émigrer. Je me le suis procuré grâce à un membre de la famille qui vit en Italie», raconte Said, 35 ans, agriculteur. Youssef, lui, arrive de Rhamna. Il est également travailleur agricole et compte partir grâce à un contrat de travail envoyé par «un Italien qui me devait une faveur», dit-il avant de disparaître dès qu’il a entendu son nom. A la porte du consulat, l’un des agents de sécurité appelle : «à qui le tour». Le stress prend alors tout son sens. Les gens attendent, la peur au ventre comme s’ils allaient postuler pour un sésame pour le paradis. Il faut bien dire que pour presque tous ceux que nous avons rencontrés ce matin devant l’annexe du consulat, le grand rêve est de partir et trouver une vie meilleure en Italie.

Si d’autres l’ont fait, on peut aussi le faire, confie une jeune femme de 26 ans, qui tente aussi l’aventure. Pour une majeure partie, ce fameux document de travail italien tant rêvé leur a coûté entre 50 et 70 mille DH. C’est le cas de Amal, 38 ans, qui habite au quartier Sbata à Casablanca. «J’avais complètement perdu espoir après m’être fait arnaquer par une femme. Cette dernière m’avait promis la possibilité d’émigrer en Italie pour 70.000 DH. Heureusement que je ne lui avais versé que le tiers de la somme», confie Amal qui finira par décrocher ailleurs un contrat après une deuxième tentative lui coûtant 50.000 DH.

Soulagée à l’issue de sa sortie de l’immeuble, elle vient remercier Redouane. C’est lui qui l’a aidée à remplir le formulaire de visa. Il lui a donné les tuyaux nécessaires pour que tout se passe bien. Redouane, la quarantaine, travaille dans les alentours du consulat d’Italie depuis bientôt cinq ans. Pour 20, ou 50 DH pour les plus généreux, il aide les demandeurs de visa à remplir leurs documents. Il vérifie avec eux s’il y en a un qui manque, et oriente ses clients quand il le faut en face, chez le traducteur. «J’ai appris le métier en imitant les initiés à Hay Hassani, dans l’autre annexe du consulat italien», raconte Redouane toujours le sourire aux lèvres. Il se dit prêt pour toutes les informations nécessaires : «Pour un regroupement familial, il faut payer le visa à 2.100 DH. Pour un contrat de travail, c’est 1.600 DH.  Quant au visa tourisme, c’est seulement 900 DH, mais tellement plus difficile à décrocher.»
 Comme Redouane, plusieurs personnes gagnent leur vie en gravitant autour du consulat. D’ailleurs, des commerces entiers se sont convertis. C’est le cas du coiffeur en face. Il a troqué ses ciseaux et son sèche-cheveux contre une photocopieuse. Les fauteuils du salon font désormais office de salle d’attente pour les plus privilégiés. Même topo pour le vendeur de vitres juste à côté: tout en conservant partiellement son activité de vitrier, il consacre, moyennant 100 à 300 DH, une grande partie de son local à la traduction de documents pour le visa et à l’assistance des personnes venues au consulat.

Parmi ses clients, Khalid. Il vient  de Ben Ahmed, dans la région de Settat. Pour être fin prêt pour le rendez-vous de 11h et légaliser, pour la somme de 470 DH, l’acte de mariage de sa belle-sœur qui part rejoindre son mari en Italie, il a dû auparavant chercher le document en question  à Béni Mellal et dépenser pas moins de 1.000 DH en transports. Dans deux semaines, viendra ensuite le tour de la belle-sœur pour faire la queue, recevoir son visa et rejoindre son époux en Italie, pour une nouvelle vie.

Comme elle, comme Amal, Youssef et Said, des milliers de Marocains sont prêts à quitter leurs familles, leur pays, prêts à endurer un parcours semé d’arnaques et d’obstacles. Ils sont pour la plupart disposés à dépenser, entre contrats, transports, frais  administratifs et pourboires, plus de 90.000 DH au total. Une somme relativement importante pouvant ouvrir un petit commerce au bled. Mais le rêve de changer de vie et d’horizon est plus fort. malgré tout. Malgré les obstacles, malgré la désillusion et les retours chaque jour plus grands des Marocains résidant en Italie, malgré les échos de la crise économique… il faut d’abord aller là-bas, il faut voir comment c’est, quitte à avoir la vie encore plus dure loin de chez soi.

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