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Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (7)

En 1572 fut publiée la première traduction en langue turque d’une histoire européenne. Pendant le XVIIe et le XVIIIe, plusieurs historiens turcs s’intéressèrent à l’histoire de l’Europe et utilisèrent des sources européennes. Par exemple Haji Khalifa. qui écrivit vers 1630 tine Histoire des Francs (Tarik Firengi). De même Huseyn Hezarfenn, vers 1670, semble s’être intéressé à la civilisation européenne, et avoir recherché le contact et la fréquentation de savants européens (Galand. Pétis de la Croix). Il rédigea une Cosmographie générale (d’où pourtant l’Europe était absente !). Mais Ahmed ben Lutfallah rédigea quant à lui, vers 1680. tine véritable histoire universelle de l’humanité. Il y distinguait entre les différents peuples «francs» : France, Allemagne, Espagne, Angleterre. Même l’Inde et la Chine étaient inclues dans son Histoire.
De la prise de Constantinople (1453) à leur défaite devant Vienne (1683) les Turcs représentèrent pour l’Europe centrale une menace constante, et tinrent sous leur domination la majeure partie des Balkans. L’Islam était en quelque sorte devenu une puissance européenne. Il n’y eut cependant presque pas, du moins avant le XIXe, de voyageurs arabes en Europe (chrétienne), ni a fortiori en Amérique. L’un eut lieu cependant entre 1613 et 1619, l’autre entre 1668 et 1683. Le premier voyageur ne laissa aucun compte rendu de son séjour ; le second écrivit un petit livre intitulé voyage du premier Oriental en Amérique (qui ne sera publié qu’en 1906). A la fin du XVIIIe siècle, des étudiants libanais (chrétiens maronites) furent envoyés en Italie; mais leurs préoccupations étaient exclusivement religieuses, et leur voyage ne saurait être considéré comme une relation entre l’Islam et l’Europe.
Au XVIIe, apparaît un changement radical dans l’intérêt ottoman pour l’Europe. Le traité de paix de Carlowitz (1699) marque l’arrêt définitif de l’expansion turque en Europe, et le début de la prise de conscience progressive d’une crise de la civilisation ottomane. La défaite militaire ouvre une phase nouvelle des relations entre l’Islam et l’Occident. Des rapports plus actuels, plus réalistes sur la situation géopolitique de l’Empire turc sont écrits par des émigrés/convertis européens (on les qualifie quelquefois ingénument de «renégats» ou d’ «apostats»). C’est le cas du comte de Bonneval, devenu Ahmed Pacha Bonneval. Des historiens turcs comniencent à apprendre les langues européennes (le français avant tout), et à utiliser des sources occidentales. Dans ce processus de rapprochement et de communication accrue, il faut noter le rôle d’intermédiaires joué par les minorités ethniques religieuses : Grecs, Arméniens, chrétiens maronites.
En 1729 une imprimerie, la première dans le monde islamique, est installée à Istanibul, par le converti Ibrahim Müteferrika, Hongrois d’origine. En 1721 une ambassade turque est envoyée à Paris. En 1729, le comte de Bonneval arrive en Turquie et entre au service de l’État. ottoman (il contribuera à moderniser l’armée ottomane et à franciser ses cadres supérieurs). En 1732 Müteferrika utilise l’imprimerie pour présenter un mémorandum de réformes au sultan. Des relations diplomatiques au sens contemporain se mettent en place peu à peu. En 1721 Mehmed Said Efendi est envoyé comme ambassadeur à Paris. Mais ce n’est qu’à la fin du XVIII siècle que des relations diplomatiques régulières sont créées. Les premières ambassades permanentes dans des capitales européennes sont envisagées en 1792. En 1793 est créée l’ambassade de Londres ; en 1795 celle de Berlin ; en 1796 celle de Paris. Ces premiers ambassadeurs sont des personnages conservateurs, ignorants des langues et des mœurs de l’Europe. Ils sont totalement inconscients de la signification et de l’importance des événements révolutionnaires de France. L’ambassadeur turc à Paris ne voit rien de ce qui se prépare pour ainsi dire sous ses yeux l’invasion de l’Égypte. Et pourtant avec la Révolution française se prépare une mutation nouvelle (les relations entre l’Europe et l’Islam. En 1798 l’expédition d’Egypte, préparée par Bonaparte, arrive devant Alexandrie. Un mois après, l’armée française est au Caire. Cette intervention marque à la fois le début de l’impérialisme européen en terre d’Islam, et la naissance de l’orientalisme scientifique.

L’Inde et l’étranger
Halbfass (1988), dans un texte intitulé Traditional Indian xenology, a étudié les différentes façons traditionnelles, pour la civilisation indienne, de traiter, ou d’éviter les étrangers, de les reconnaître/méconnaître. Depuis des millénaires, l’Inde a eu affaire aux étrangers. Dans les plus anciens textes de la tradition indienne, les Védas, on ne parle guère des étrangers. Les hommes de cette civilisation se considèrent comme des «aryas». c’est-à-dire des «purs», des «nobles». Ils se distinguent des habitants originaux (ou antérieurs), des «indigènes», les «dasya» ou «dasa». Ce terme veut dire «serviteur» ou «esclave», et désigne aussi les basses classes, les métiers inférieurs.
Vers 800 avant J.-C., dans les textes des Brahmanas, on parle beaucoup des «mleccha». Le «mleccha» est l’étranger, celui qui ne fait pas partie de la communauté rituelle, religieuse, sociale et linguistique des Aryens, celui qui ne parle pas le sanskrit, langue sacrée des Védas, et langue originelle des Aryens. Plus tard nous rencontrons dans les textes le terme de «yavanna». Les Indiens (hindous) l’ont probablement emprunté quand ils sont entrés en contact avec les Grecs sous le règne du roi perse Darius 1’r. Les Yavanna, ce sont en effet les « ioniens », les Grecs. Ce terme désignera ensuite les envahisseurs venus du Nord-Ouest, puis ceux venus du Sud-Ouest. Le terme acquiert alors le sens général d’«étranger», d’«occidental». «Yavana» petit être utilisé comme synonyme de « mleccha», et signifier en quelque sorte «barbare», «vil étranger». Il a pu par exemple désigner par exemple les Musulmans, dont l’entrée guerrière en Inde commence au VIIIe siècle.
Le terme «yavana» est plutôt descriptif, et renvoie à un groupe spécifique d’étrangers que l’on cherche à comprendre. «Mleccha» a des connotations morales et symboliques négatives. Il renvoie à l’étranger comme menaçant, différent des normes propres à la culture indienne ; il implique une infériorité. Les Yavana, bien qu’envahisseurs, ont été naturalisés en Inde, du moins dans les régions frontalières, et sont devenus une partie de la tradition hindoue. Désormais «yavan» dénote, non pas une origine géographique ou ethnique, mais un style, un type, un modèle (Singer, 1972, p. 394). L’Inde, Bharata. est le foyer des vrais Aryens. Le cœur du «Bharata», qu’on appelle « aryavarta», c’est l’Inde du Nord, qui est comme le centre de ce foyer. Bharata est le pays du «dharma», de la loi : c’est la «Terre sainte» de l’Inde, et possède donc à ce titre un statut rituel et religieux privilégié. Selon Halbfass, l’idéologie indienne traditionnelle n’est pas dénuée de xénophobie. En général, il convient d’éviter les contacts avec les « mlecchas ».

• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

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