Culture

À la redécouverte de la mauritanie (1)

L’homme qui me reçoit longuement, plus d’une heure dans le palais présidentiel, est quelqu’un d’assurément remarquable-de personnalité.
L’homme qui me reçoit est du style sobre, à l’élégance discrète et au discours châtié usant d’une langue soutenue. Le colonel Ely Ould Mohamed Vall se fait toujours désigner -depuis le 3 août 2005- par «président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie» – chef de l’Etat.
Il reçoit son interlocuteur journaliste dans le même bureau qu’occupait son prédécesseur l’ex-président de la République islamique de Mauritanie, un autre colonel Mouâaouiya Ould Taya qui était arrivé à s’incruster à la tête de l’Etat vingt années durant à la suite d’un des nombreux putschs qui se sont succédé depuis celui qui mit fin au règne du «fondateur» Mokhtar Ould Daddah (10 juillet 1978).
Le colonel Ely Ould Mohamed Vall, officiellement désigné comme président du “Comité militaire de la justice et de la démocratie“-, chef de l’Etat, est au pouvoir depuis moins d’un an et il n’en apparaît pas moins comme naturellement installé au sommet du (nouveau) pouvoir.
Il évolue avec aisance et simplicité dans le bureau central ample, moquetté, lambrissé et aux murs tendus de tissus pastel.
Le colonel-président regarde vraiment son visiteur dans les yeux et lui présente une esquisse de sourire plutôt indéfini (énigmatique?).
Mince et à la silhouette élégante, Ely Ould Mohamed Vall a vu le jour l’année de l’exil de Mohammed V et la famille royale, c’est-à-dire en 1953, quelque part déclare-t-il, entre le Trarza et le Tiris El-Gharbia.
Il est issu d’une famille nombreuse dont le chef est un père commerçant de tradition maure. Avant treize ans, il obtient après un concours, une bourse de l’ambassade de France à Nouakchott pour rejoindre une «école de troupe» dans l’Hexagone, puis il fréquente collège et lycée militaires au Mans et à Aix- en- Provence.
Un baccalauréat (série B) en poche, il rejoint l’Académie militaire de Meknès dont il sort major de sa promotion en 1976. Dans cette même ville, il fréquente l’université. Deux années à la faculté de droit et finit à Nouakchott sa licence.
De 1976 à 1978, Ould Mohamed Vall est affecté aux commandements de Bir Moghreïn, Ouadane, Aïn Bentili, puis Atar, Rosso et enfin à Nouakchott. A des points où il se trouve face au Polisario.
S’il n’a pas participé, ni de près ni de loin, au renversement de Mokhtar Ould Daddah le 10 juillet 1978, il contribuera plus tard, nous le verrons, à la destitution brutale de Khounna Haïdallah très proche des Algériens et de leurs affidés au Polisario qu’il avait donc combattus avec efficacité lors de ses différentes affectations.
Mouaâouiya Ould Taya qu’il aidera à conquérir le pouvoir en 1984, le récompensera en le nommant directeur général de la Sûreté nationale, ave le grade de colonel.
Ely Ould Mohamed Vall restera aux côtés de Ould Taya et sera au cours de vingt années durant un vigilant défenseur du régime déjouant toutes les tentatives de complot qui  parsemèrent le cours de l’ancien régime.
3-4 août : il reprend le pouvoir à la tête d’un «Conseil militaire de la justice et de la démocratie» avec 16 colonels issus de l’ensemble des corps de sécurité et un capitaine de Frégate. Se disant primus inter pares, il sortira du lot pour apparaître aux yeux de ses compatriotes et du monde, le dirigeant du pays.
Jamais le colonel Ely Ould Mohamed Vall ne prononce les mots renversement, putsch, coup de force ou autre. Il dit «changement» et s’enorgueillit que tout se soit passé, alors que le président assistait avec d’autres chefs d’Etat et personnalités internationales aux obsèques du “serviteur des deux Lieux Saints” le Roi Fahd d’Arabie saoudite, avec une douceur exemplaire. Une opération indolore menée de main de maître par celui qui était jusqu’alors le patron de la police mauritanienne. «Il n’y a eu aucune balle de tirée, aucun mort ni blessé à déplorer au cours de cette nuit du 3 au 4 août dernier», affirme le dirigeant de la junte avec l’air satisfait du calme stratège.
Le “changement” a été accueilli avec soulagement “unanimement applaudi” et en trois jours pas plus le gouvernement aura géré dans le sérénité la situation, tandis que toutes les organisations nationales adhéreront en vitesse au processus inauguré avec cette “rupture, dont l’objectif était de prévenir une guerre civile, un vrai déraillement qui menait inéluctablement dans le mur”.
Le maître actuel de la Mauritanie ne cache donc pas sa déception d’avoir vu “l’Union africaine” prendre “inconsidérément” la décision de suspendre l’adhésion de son pays, en vertu du principe adopté, quelques années auparavant, de sanctionner tout bouleversement de l’ordre constitutionnel par la force d’un régime établi.
C’est peut-être le seul moment où j’ai senti le président du «C.M.J.D» se départir de sa placidité pour «(s)’avouer que cela l’a laissé amer!». Car l’organisation continentale, dirigée par l’ancien président malien Alpha Omar Konaré, n’a pas cru devoir tenir compte du «large consensus» qui a accueilli «le changement» de l’été dernier «pacifique», sans limitation des libertés, ni arrestation, ni coercition  d’aucune sorte.
Et de fait, les observateurs –journalistes et diplomates- avaient fait ce constat que l’action menée en cette période estivale et en l’absence physique du chef d’Etat d’alors, avait manifestement pris les allures d’une révolution de velours. Il n’aimerait pas qu’on la qualifie de palais.
Dans quelques jours, la Conférence de l’Union africaine qui se tiendra dans la capitale gambienne Banjul, changera-t-elle l’attitude si sévère et si rigide à l’égard de Nouakchott?
 Nul ne peut conjecturer quoi que ce soit pour le moment. Reste qu’en cette année 2006 -à mi-chemin-, deux pays sont de facto hors de l’Organisation africaine : le Royaume du Maroc et la République islamique de Mauritanie…
Pour des raisons différentes certes.

De Nouakchott Abdellah Stouky

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