Culture

Bellamine l’intraitable

ALM : Vous avez dit qu’il n’existe pas de peinture au Maroc…
Fouad Ballamine : Je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas de peinture au Maroc. J’ai dit qu’il n’y a pas de peinture marocaine. C’est grave ce que vous me faites dire là ! Il n’y a pas de peinture marocaine, dans le sens d’une revendication par rapport à une spécificité historique. Il ne faut pas se leurrer là-dessus. La peinture telle que nous l’exerçons est un langage emprunté à l’Occident. Et quand je dis une école de peinture marocaine, je l’inscris dans une Histoire courte. On met ainsi à une peinture jeune le boulet d’une identité qu’elle n’a pas encore. Et puis, qu’est ce que ça veut dire une peinture marocaine ? Aujourd’hui, une peinture française ou anglaise ne veut rien dire. Il y a la peinture tout court. D’abord ça. Et au moment où j’avais dit cette phrase, ma génération en avait marre du discours qui tournait autour de la spécificité. On voulait à tout prix qu’il y ait des écrivains marocains, des cinéastes marocains, des hommes de théâtre marocains. Je veux bien d’une peinture marocaine ! Mais que quelqu’un m’explique en quoi un tableau est marocain et tel autre ne l’est pas. Est-ce le palmier ou le dromadaire qui fait sa marocanité ! Si on doit poser le problème de la peinture marocaine, parce qu’elle correspond à une image conforme aux attentes d’un certain public, mais mon Dieu je ramasse mes affaires et je m’en vais ailleurs. Et peut-être qu’en Chine, je ferais de la peinture marocaine.
Mais votre culture marocaine agit dans votre peinture.
Bien sûr ! Même quand je vivais ailleurs, le Maroc était omniprésent. Je suis marocain. On ne peut pas me changer mon sang, et même si on me change mon sang, on ne peut me priver de mes souvenirs ou m’enlever mon cerveau. Je ne suis travaillé que par la chose marocaine. Et cette culture marocaine m’ouvre aussi à d’autres cultures. Tout cela agit dans mon oeuvre. Mais chercher à mettre une étiquette marocaine, cela je n’en veux pas. Parce que rien n’est plus dangereux que de commencer à travailler avec l’a priori d’une identité.
Vous n’exposez pas beaucoup au Maroc.
Ce n’est pas un problème. Je n’ai plus 20 ans. À cet âge-là, on court, on expose, on cherche à montrer que l’on existe en tant que peintre. À mon âge, à 52 ans bientôt, je trouve qu’une exposition tous les cinq ans pour permettre au grand public de voir mes oeuvres, c’est suffisant ! Les gens qui s’intéressent à la peinture et qui suivent mon travail, passent à mon atelier. Exposer pour vendre, le problème ne se pose plus pour moi. Lorsque quelqu’un veut acheter du Bellamine, il l’appelle et il achète.
Exposer pour se faire connaître, le problème n’est plus là. Ceci dit, j’expose ailleurs où l’on fait la promotion de mon oeuvre. Je montre mes derniers travaux lorsqu’il s’agit d’expositions intéressantes – comme celle sur Jean Genet.
Est-ce que cela n’est pas dû au manque de galeries professionnelles ?
C’est certain que s’il y avait réellement des galeries professionnelles, j’aurais montré mon oeuvre d’une façon régulière. Or galerie professionnelle, actuellement au Maroc, je ne connais pas ! Il y a des boutiques qui vendent des tableaux. Je ne peux pas me permettre d’exposer mes oeuvres dans des boutiques. Et puis, est-ce que cette boutique m’apporte quelque chose ? Est-ce qu’elle fait ma promotion internationale ? Si une galerie pouvait négocier ma présence dans telle ou telle foire internationale ou dans telle ou telle biennale, je dirais Amen ! Je ne demande pas mieux ! Parce que la galerie serait en train de faire son vrai boulot comme cela se fait partout ailleurs. Mais si je lui donne simplement mes tableaux pour qu’elle les vende, je les vends déjà chez moi. Je n’ai pas besoin d’elle! Ce genre de galeries ne devrait plus exister. Il y a eu deux galeries à mon avis qui ont joué, à un moment, un rôle très important : L’Atelier et Nadar. Elles ont donné ce qu’elles ont pu, et après elles ont fermé.
Les fondations privées et certaines institutions permettent aux peintres de respirer.
Le privé a certes contribué à l’essor de la peinture marocaine. Chaque institution privée ou semi-privée s’est constituée sa collection. Je préfère ne pas parler d’une collection de l’Etat marocain. Un Fonds d’art contemporain n’existe pas réellement. Si quelqu’un veut me défier, on peut aller voir ce qu’il y a dans les caves du Ministère de la Culture. Mais les institutions, on a l’impression qu’elles ont fait un peu de charité et qu’elles ont arrêté. «On vous a donné, ça suffit !» Quand vous vous retrouvez en face d’un directeur ou d’un haut responsable, vous n’avez pas encore prononcé un mot qu’il vous regarde comme si vous lui demandiez la charité. Comme si vous lui disiez : achetez-moi ceci ou cela. Le mot artiste est devenu synonyme de mendiant dans notre pays. Et c’est malheureux !
Vous êtes ce qu’on appelle, au sens noble du terme, un peintre intellectuel, un peintre qui a un discours et qui s’exprime aussi par écrit…
Je préfère plutôt dire un peintre curieux. Être curieux veut dire être ouvert. Je ne peux concevoir, et j’ai toujours dit cela, un créateur quelconque de nos jours s’il n’a pas un minimum de bagages et un maximum d’ouverture d’esprit, ne serait-ce que pour être à jour au regard de ce qui s’écrit, se voit, se crée… C’est une nécessité, et ça demande actuellement beaucoup d’efforts. Ca demande un peu d’argent pour acheter des revues, des livres. L’acquisition des revues spécialisées et la visite des expositions sont obligatoires. Il devient très difficile pour la jeunesse marocaine d’accéder aux musées occidentaux, en raison des difficultés relatives à l’obtention de visas et à d’autres obstacles. Il en était autrement quand notre génération avait vingt-ans. On pouvait voyager, on circulait comme on le voulait, on allait visiter les musées en Europe. Et cela a contribué à notre formation intellectuelle et à assouvir notre curiosité. Pour revenir au terme intellectuel, je préfère lui substituer le mot curieux, cultivé…
Oui, mais vous réagissez souvent aux choses qui vous tiennent à coeur par écrit…
Effectivement, l’écrit m’a toujours intéressé, mais il me fait peur, parce que l’écrit reste. L’écrit demande aussi un grand effort. Je ne suis pas écrivain, mais je lis beaucoup. Comme j’aime la lecture, comme j’aime les grands écrivains, je veux à tout prix – et c’est peut-être mon défaut et ce qui me bloque par moments – écrire comme eux. Or, je ne peux pas écrire comme un écrivain, c’est impossible ! Je peux très bien écrire des pages. Je ne manque pas d’idées, je le fais d’ailleurs. Mais d’écrire comme les écrivains le font avec cette passion qui les engage sans demi-mesures dans leur art. Non, je me suis dévoué corps et âme à la peinture.
Quel regard portez-vous sur la peinture marocaine ?
Je suis optimiste. Je l’étais moins avant. Heureusement qu’il y a des jeunes. Et c’est ce qui constitue plus que la richesse du Maroc. Je dirais: son secret. Toujours dans l’obscurité la plus totale, du fond de l’abîme sortent des gens qui étonnent. Ces jeunes ont un potentiel «de chez Allah». Vous vous rendez compte de ce que c’est ? Ils ne doivent pas leur savoir-faire à une université ou à une école des Beaux-Arts. Sincèrement, je crois beaucoup en eux. Mais est-ce que nous sommes condamnés à attendre le don divin ?

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