Culture

La chose de Nadia Yassine

C’est très louable que Nadia Yassine s’exprime dans un livre. On aurait aimé en apprendre plus sur le mouvement fondé par son père, sur un projet de société concernant le Maroc. Non ! Nadia Yassine voit plus grand : elle s’adresse à la planète entière. Elle veut à la fois corriger les idées reçues sur l’islam et miner les fondements du savoir de l’autre. Elle s’engage dans un combat titanesque, une entreprise colossale, une aventure sans commune mesure avec tout ce qui a été écrit jusque-là : montrer la faillite du système sur lequel repose l’archéologie du savoir en Occident. Ce qu’un philosophe comme Michel Foucault a à peine effleuré, Nadia Yassine l’a bouclé en un livre. Elle le fait dans une langue surchargée, imagée.
L’argumentation est ainsi souvent reléguée au second-plan au détriment de la métaphore. À tel point que le but est analytique, guerrier, argumentatif, alors que les moyens pour l’atteindre sentent le procédé. Un exemple : «Ces ressouvenances sont douloureuses. Comme une ecchymose de l’âme, elles libèrent une douleur diffuse dans le coeur froid de l’homme prisonnier des cellules glacées de l’entendement rationnel, figé et exclusif. Jalouse, farouche, bornée et possessive, la belle geôlière nommée modernité ne lui permet de dialoguer avec le surnaturel qu’à travers les grilles de l’entendement qu’elle cautionne». Et c’est avec ce genre de phrases que Nadia Yassine avance dans un essai dont elle espère qu’il réforme le monde ! Ce ton rappelle le journal intime de quelque adolescente qui n’a pas encore fait l’expérience de la vie. Au reste, L’entreprise dans laquelle s’engage l’auteur est si démesurée que celle-ci n’hésite pas à passer en revue différentes formes d’expression à seule fin de dire qu’elles sont de simples palliatifs de la religion.
Quand bien même l’intéressée pourrait avoir une idée intéressante, sa formulation porte souvent préjudice à sa teneur. Sûre de qu’elle avance, elle oublie la rigueur la plus élémentaire, manque de densité, prend ses aises avec des écrivains qui ont dévoué toute leur vie à leur art : «Huxley, pour en revenir à lui, était-il visionnaire ? Il semblerait (sic)». Essayer de tout interpréter : la musique, le cinéma, la philosophie, les arts plastiques, la littérature comme de pâles substituts de la religion est non seulement une erreur, mais une entreprise qui a déjà montré ses limites avec d’autres mieux aguerris que Nadia Yassine. Pour atteindre cet objectif, celle-ci ratisse très large.
Son livre est truffé, saturé de citations qui concourent moins à instruire ses propos qu’à montrer l’étendue de ce qu’elle sait. Si on s’amusait à dresser un index des noms de personnes, il s’étendrait au moins sur dix pages. En fait, Nadia Yassine a ratissé si large qu’elle en a perdu de vue son objectif. Elle s’est complètement noyée dans son combat avec les autres. Elle est indulgente envers l’un d’eux : «Descartes, malgré tout ce que nous avons pu écrire, n’était pas un minable».
Ce genre de jugement à l’emporte-pièce rende le livre de Nadia Yassine très original. Il fait partie de ces bizarreries qui génèrent des adjectifs dans la langue. L’on se rend compte, aussi, que Nadia Yassine ne sert pas Dieu, mais son moi terriblement hypertrophié. Le ridicule est ce qui caractérise encore mieux la chose de celle qu’on nomme «l’égérie» d’Al Adl Wal Ihssan.
«L’art est le reflet de l’intérieur de l’être», nous apprend-elle. Et pour preuve, elle en appelle à un tableau du peintre Malevitch : «Le carré noir posé sur fond rouge ne voudrait-il pas simplement exprimer le noir que broie l’esprit humain face à un avenir incertain et fermé? Le rouge serait-il la couleur de ce sentiment latent de danger imminent ou bien serait-il le reflet d’une flamme qui résiste et ne veut pas s’éteindre ?» Pauvre Malevitch !

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