Culture

La culture au service du developpement

ALM : Vous avez fait le pari de développer la ville d’Essaouira par le biais de la culture. Pouvez-vous en parler ?
André Azoulay : C’est un choix que nous avons fait depuis le départ. La société civile à Essaouira, les mouvements associatifs, et plus précisément l’association Essaouira-Mogador, sont les initiateurs de ce projet. Cette volonté de promouvoir la ville par la culture est née quand il s’est agi de redonner ses chances à Essaouira qui était en crise profonde, sur le plan économique et social, il y a dix ou douze ans. Après une évaluation très réaliste de nos possibilités et de nos ressources, il nous est apparu qu’Essaouira avait pour première richesse son patrimoine et son identité culturelle. Ensuite, nous avons réfléchi au moyen de protéger ce patrimoine, tout en restant fidèle à notre culture, notre identité et notre mémoire. Ce souci de préservation allait de pair avec la préoccupation de transformer ce patrimoine en source de richesse. Nous avons donc fait du vecteur culturel l’axe principal de nos réflexions et de nos propositions en matière de développement. Je dois dire que, quelque dix ans après, la réalité nous a confirmés dans nos choix.
Pensez-vous que le modèle du développement d’Essaouira par la culture puisse s’appliquer à d’autres villes ?
J’en suis totalement convaincu ! Je suis convaincu que l’expérience que nous menons depuis une dizaine d’années peut être déclinée partout au Maroc. Et probablement de façon moins laborieuse que chez nous. Parce qu’Essaouira est une ville pauvre dans une province sans grande ressource. Si nous avons commencé à émerger économiquement en dépit de multiples handicaps, c’est qu’ailleurs, non seulement c’est possible, mais ça sera sûrement plus facile !
Et si on vous demandait d’énumérer les recettes de cette réussite…
Je ne crois pas qu’il existe des recettes, mais je pense que c’est une expérience qui mériterait d’être rationalisée et expliquée. C’est en raison de cela que nous avons demandé aux chercheurs de l’Université Al Akhawayn d’étudier le cas d’Essaouira. À partir d’une recherche scientifique, ils ont analysé ce qui s’est passé depuis dix ans. En clair : d’où sommes-nous partis ? Avec quoi ? Où nous en sommes ? Et vers quoi est-ce que nous allons ? Et cette étude dont les premiers éléments ont fait l’objet d’une publication va nous permettre justement de mieux comprendre et de rationaliser l’expérience que nous avons menée. Et ce, en vue de la décliner ailleurs.
D’autres festivals vont voir le jour à Essaouira.
Il y en a deux qui sont déjà établis. Nous sommes à la cinquième édition du festival gnaoua, musiques du monde. Le festival de musique classique et d’art lyrique en sera à sa troisième édition l’année prochaine. Et nous travaillons actuellement à la première édition du festival des Andalousies plurielles qui doit avoir lieu les 3, 4, 5 octobre à Esaouira. Il sera un festival multidisciplinaire : musique, peinture, cinéma. Nous gardons à l’esprit notre projet initial : faire de la culture l’axe principal du développement de la ville. Nous ambitionnons à cet égard d’avoir un grand événement culturel par trimestre à Essaouira.
L’initiative du festival gnaoua appartient complètement à la société civile ?
Oui. Mais nous avons l’appui et le support du ministère du Tourisme, du ministère de la Culture, des autorités locales et de différents ministères. Plusieurs dizaines de personnes viennent ici tous les ans. C’est une énorme machine à gérer et à sécuriser. Et la contribution des différents corps, qu’il s’agisse de la gendarmerie nationale, des services des autorités spécialisées, de la sûreté nationale, est indispensable. Nous trouvons chez eux une écoute, un soutien et une assistance qui sont exceptionnelles et qui nous permettent d’exister.
L’engagement de l’Etat, financièrement parlant, reste toutefois assez timide.
Il existe une fragilité des montages financiers qui permettent, chaque année, au festival d’exister. Ce festival se développe de façon très substantielle d’année en année. Et ce développement nécessite des moyens de plus en plus importants. On doit évidemment pouvoir tenir la distance et trouver le souffle indispensable pour accompagner ce développement.
Il faut aussi que les départements concernés de l’Etat puissent avoir une appréciation objective et réaliste ce qui a été fait et obtenu, jusque-là, avant de s’engager massivement. Je suis sûr que l’on trouvera auprès d’eux le soutien dont nous avons besoin. Faute de quoi, bien évidemment, – et ça serait dommage ! – cette démarche risque de s’arrêter. Et ça ne sera à la gloire de personne.
Et justement, elle a failli être arrêté cette année. Il y a eu beaucoup de difficultés…
On a eu des difficultés, mais on les a surmontées. Moi, je préfère voir le fait que nous avons triomphé des incertitudes et des risques.
Que représente la ville d’Essaouira pour vous ?
C’est ma ville natale. Et j’ai le sentiment que le peu que je sais ou que j’ai réalisé, ce que j’ai appris, je le dois beaucoup à ma ville. Il est normal que je lui rende un peu de ce qu’elle m’a donné. Et puis, cette ville, c’est ma mémoire, ma jeunesse. C’est aussi des valeurs très importantes que je tiens du temps que j’y ai passé.
Ces valeurs-là sont faites d’ouverture, d’écoute de l’autre, de partage et de solidarité. Ces valeurs sont importantes en soi, mais elles sont urgentes aujourd’hui au regard des signes d’exclusion, de peur et de frilosité intellectuelle que l’on voit ici et là.
Ce manque de dialogue et d’ouverture me paraît totalement étranger à ce qu’Essaouira m’a appris, et à ce que le Maroc est. Essaouira apporte, à sa façon, une réponse à ceux qui sont tentés par des attitudes étrangères au Maroc. Ceux qui tiennent un discours motivé par le rejet, l’exclusion et la haine sont étrangers à l’esprit d’Essaouira et à mon Maroc !

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