Culture

Le centre artisanal de Casablanca dépérit

© D.R

Le siège de la délégation régionale de l’Artisanat à Casablanca abrite un joyau: disposés autour d’un jardin, deux étages de boutiques et d’ateliers offrent au visiteur un accès privilégié aux merveilles de notre artisanat. Avec cette particularité : l’art tient ici une place non négligeable dans l’atmosphère. A commencer par l’impressionnante sculpture qui trône au milieu du jardin, signée Rahoule, artiste et céramiste mais très certainement artisan lui aussi… Il y a aussi le style architectural, qui confirme l’intention des concepteurs: accueillir artisans et visiteurs dans un espace fonctionnel, tout en restituant l’essence de notre art de vivre et de notre civilisation.
C’est ce dont témoigne l’artiste peintre Mohammed Chabaa qui, en qualité de conseiller du département de l’artisanat à l’époque, avait pris une part décisive dans la création de cet espace : «La création de ces centres d’artisanat avait un double objectif : rapprocher les artisans, les acheteurs et les amateurs, en mettant à la disposition des artisans un espace pour travailler et exposer leurs produits». En soulignant que les artisans, dont l’esprit commercial est souvent la moindre des qualités, ont besoin d’être assistés par d’autres corps de métier, qu’il s’agisse d’artistes ou de “marketiciens“….
Bienvenue donc au centre artisanal du quartier Bourgogne sur les pas d’Olivier et Gaëlle, touristes français, pour une visite recommandée par le Guide du Routard : «Heureusement que les guides touristiques signalent notre existence, soupire l’un des artisans du centre. Parce que ceux qui organisent les visites touristiques à Casablanca font comme si nous n’existions pas. Sans doute, chez nous, les prix sont fixes et les guides ne peuvent pas espérer de ristournes comme cela se fait dans les bazars et les médinas…»
Premier contact. Un immeuble qui ne donne pas tout de suite à imaginer qu’il abrite un centre d’exposition de produits d’artisanat et dont la nature spécifique gagnerait à être mieux signalée. Puis, dès l’entrée, un choc. Il y a bien à l’extrémité d’une interminable galerie, cette explosion de lumière venant du jardin intérieur à ciel ouvert. Mais on retient surtout l’atmosphère lugubre de la galerie en question, et ces deux vastes salles, de part et d’autre de la galerie, sinistrement plongées dans l’obscurité. Ces deux espaces sont occupés par une coopérative, la Coopartim dont on apprend qu’elle est à l’arrêt depuis trois ans et que les artisans désespèrent que le problème soit un jour résolu.
En s’engageant du côté gauche, la première boutique est celle de Abdelhakim Elamri, tisseur traditionnel. Au-dessus du métier à tisser, sur le mur, une mosaïque de photographies encadrées. L’une représente le président Giscard d’Estaing en compagnie du mâallem. Souvenirs, nostalgie d’un temps où les artisans du centre de Casablanca avaient le sentiment que le monde était à eux, malgré les retombées de la guerre du Golfe qui commençaient à se faire douloureusement ressentir dans le secteur. Car en 1992, à l’époque où le centre entra en activité et que les artisans commencèrent de s’y installer, on croyait encore que la solution des coopératives de commercialisation était une chance pour l’artisanat. Chez Abdelhakim, une cliente fidèle : Odile, qui résidait au Maroc depuis près de trente ans, est venue faire le plein d’articles qu’elle destine à ses enfants, qui vivent en France et qui comptent sur les produits d’artisanat pour entretenir, à l’étranger, le sentiment de leur marocanité. La boutique suivante propose des poupées typiquement marocaines : confectionnées en miniature, les tenues traditionnelles de toutes les régions du pays composent un charmant kaléidoscope. Derrière le comptoir, Amina, la vendeuse, témoigne du ralentissement de l’activité : «Chaque année est pire que la précédente. Cette semaine, nous avons fait à peine 50 dh de chiffre d’affaires…»
Cela étant, tout le monde, au centre d’artisanat, ne se plaint pas. Mustafa Samir, par exemple, dont l’atelier, situé au rez-de-chaussée, déborde littéralement d’activité. Sur le sol, une montagne de luths attendent leur tour pour être finis : il ne leur manque plus que les fils de nylon qui feront office de cordes. M. Samir est installé là depuis le début, lui aussi. Chaque mois, il produit près de 300 luths, grands, moyens et petits, destinés au marché des souvenirs touristiques.
Pendant ce temps, devant l’atelier de l’encadreur, un aide débite des baguettes sur son établi. On apprend qu’il s’agit de la boutique du peintre Abdelkader Laâraj, dont la présence en ce lieu est dû à ce rêve que fit un jour un autre artiste qui rêvait de réconcilier l’art et l’artisanat.
Un petit tour à l’étage ? Il faut emprunter un escalier qui plonge soudain le visiteur dans le pire de ce qu’est devenu le centre d’artisanat de Casablanca. Des carrelages défoncés, des murs crasseux, des carreaux cassés, des plantes vertes anémiques… On en a très vite le cœur serré. L’étage est d’ailleurs à l’image de l’ensemble : des îlots de charme et d’harmonie dans un océan de médiocrité et de laisser-aller.
Dans la boutique de M. Guenzi, dédiée au thuya sculpté, deux visiteurs : l’un d’entre eux, qui habite dans le quartier depuis 12 ans, n’avait jamais entendu parler du centre ni  tenté de franchir le seuil de la délégation. Il a fallu qu’un ami Meknassi de passage à Casablanca le lui fasse découvrir…
Autre boutique digne d’intérêt, l’atelier de maroquinerie et reliure de Jamal Ezzoubir, lui aussi présent  depuis lé début. Il confirme la donne: «Il ne faut pas compter sur le centre pour nous faire connaître. Depuis la fermeture de la coopérative, les choses sont devenues claires : il faut aller chercher les clients puisqu’eux ne viennent pas. A chacun de se débrouiller comme il peut !»
Une note d’espoir tout de même. La présence dans ce centre de l’association Itqane dont la devise, «Femme, savoir-faire, entreprise et perfectionnement» annonce clairement l’objectif : l’amélioration des conditions de vie des femmes en renforçant leur intégration socio-économique par la valorisation, l’organisation et la promotion de leurs produits.
Enfin, on ne saurait visiter le centre d’artisanat de Casablanca sans rendre visite au musée de la poterie miniature, qui fait malheureusement les frais de la faible notoriété de l’espace ou il a fini par s’installer, après bien des tribulations.
On quitte finalement le centre comme on y est entré : en se demandant comment un aussi bel outil de promotion des artisans et de l’artisanat a fini dans la poussière, l’obscurité et le laisser-aller…

COPARTIM : la faillite d’une théorie
Les coopératives de l’artisanat (Copartim) ont été créées en 1956, dans le but de soutenir les artisans. On en comptait sept à travers le Maroc. Elles avaient pour mission d’aider les artisans à commercialiser leurs produit mais aussi d’acheter la matière première en gros afin de faire baisser les prix de revient. Il revenait aux responsables des coopératives de gérer les aspects financier et promotionnel de la commercialisation. Ils s’occupaient d’exposer les produits artisanaux et déduisaient leurs bénéfices du prix de la vente, tout cela en concertation avec l’artisan. Hélas, la mission initiale de ces coopératives a été déviée! Elles se sont transformées en de simples bazars, et leur gestion est devenue difficile. La coopérative de Casablanca est actuellement fermée. Les artisans se sont trouvés devant le fait accompli. Les copartim semblent être à présent remises en question par les pouvoirs publics. Du côté de la délégation de l’artisanat à Casablanca, on va même jusqu’à déclarer que «ces coopératives doivent disparaître car elles sont source de discorde et de mésentente».
En théorie, la disparition de ces intermédiaires est censée laisser le jeu libre aux artisans : à eux de vendre leur produit à leur manière. Une théorie largement battue en brèche dans les faits.

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