Culture

Le peintre maçon

Les tableaux de Meliani sentent le mortier et le pilon. Leurs couleurs sont extraites des roches et transformées en pigments. Beaucoup de pigments naturels qui accentuent l’aspect terrien de la peinture de l’intéressé. Nombre de ses tableaux semblent avoir été trempés dans un lit de boue, d’autres donnent franchement l’impression d’être enduits de ciment.
Certes, ce sont seulement les pigments naturels qui laissent croire que l’artiste n’utilise pas les tubes de peinture, mais il n’en demeure pas moins, comme l’a écrit l’écrivain espagnol Emmanual Borja dans le beau texte qui préface le catalogue d’exposition, qu’il «faut situer ces tableaux de Meliani au-delà du chromatisme ordinaire des couleurs industrielles». Et cet au-delà de la peinture apparente l’artiste à un maçon. Il ne s’agit pas d’une image, mais de la réalité d’une oeuvre dont la réalisation requiert l’utilisation de matières naturelles. Un peu de sable, beaucoup de terre et des pigments gris qui ressemblent à du ciment. La surface de la toile en est rêche et rugueuse. On y voit des reliefs tassés par un grattoir ou une truelle qui n’a pas encore lissé toute la surface.
Ces oeuvres ressemblent aussi à ces murs contre lesquels les maçons frottent leur matériel pour l’essuyer du trop de matière. Ces oeuvres évoquent ces murs qui accueillent tout ce dont se débarrassent les ouvriers pour faire proprement leur travail. Le miracle des oeuvres de Meliani, c’est qu’en même temps qu’elles sont boueuses, elles ne sont jamais sales. En atteste ce tableau placé à l’entrée de la galerie Bab Rouah et qui ressemble à un tronc d’arbre en furie. Le tronc en question est noir, et les alentours ont la couleur de la boue rouge. On dirait que les eaux boueuses d’une rivière en crue sont passées sur cette oeuvre. Et pourtant, ils ont laissé quantité de sédiments sans salir l’oeuvre.
D’autre part, la figuration est réduite à l’essentiel dans l’art de Meliani. À peine quelques traits pour dessiner les contours d’un cartable d’écolier, les lignes d’un fauteuil ou ces espèces de torsions évoquant un ressort dont l’effet tourbillonnant s’ajoute au chaos tellurien de la toile. Abderrahman Meliani est né en 1944 à Marrakech. Il est enseignant au CPR de Rabat. « Je ne vis pas de ma peinture, parce que je ne vends pas beaucoup. Il est très difficile de vivre de sa peinture dans un pays où les possibilités de vente sont extrêmement rares », répond l’intéressé lorsqu’on l’interroge sur le fait qu’il est à la fois peintre et enseignant. C’est un homme très discret. Certains lui reprochent de changer de style trop fréquemment, ce qui ne rend pas aisé la reconnaissance de son art.
L’artiste s’en défend au nom de la recherche : « Je réfléchis sur ma peinture. J’avance. Se renouveler est nécessaire pour être peintre », dit-il. Personne ne peut lui contester cela, d’autant plus que l’exposition de Bab Rouah ne ravit réellement l’oeil et l’esprit que lorsqu’on l’appréhende comme une série. Autrement, s’il s’agissait de revoir des oeuvres peintes de la même façon, elles perdraient de leur pouvoir et finiraient par lasser.

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