Culture

L’île du désir

© D.R

Tout a commencé un matin d’une invisibilité intensive. Il s’est désiré ailleurs, abordant dans l’île de ses rêves. À la nage. Il sait que pareil voyage ensorcelle, d’autant lorsqu’il miroite en perspective l’aventure, la jouissance et la rencontre avec soi. Il déploie ses ailes, coupe la respiration, s’écoute avec recueillement et se bouche les oreilles pour ne plus entendre les chiens qui aboient au loin. Suivent-ils à la trace la lune égarée, se dit-il, en forçant son rire goguenard, alors qu’il caresse l’entre paupières où la lune s’est réfugiée. Bien nourri de sommeil, il cède à l’attrait de l’île suspendue entre ciel et terre, à mi-chemin entre l’illumination et la béance grande ouverte. Il se penche sur sa nudité pour l’interroger et sans se fuir, quitte ses accoutrements, la fatigue de monter cette pente qui n’en finit point. Léger, il suit docilement les ombres imperceptibles qui lui font visiter les lieux. Là, la lumière s’est tapie et espère un mouvement hors d’elle pour essaimer et longer les reliefs célestes; là-bas, s’accroupit le large, frustré d’avoir trop longtemps cru au ressac; tout près, le feu se voit effiloché par tant de traîtrises, de faux-semblants, de dépeçages et de servilités. Il prend la tête entre les mains, mesurant l’étendue de la tâche qui l’attend s’il se hasarde à vouloir insuffler la dignité à ce territoire qui est devenu sien. Touché dans son amour propre, il rechigne, d’abord, boude, tergiverse, acquiesce, refuse, choisit, enfin, son aire vitale. L’agencement de l’espace est primordial dans sa démarche. Devrait-il commencer par créer son environnement avant d’entreprendre une quelconque action. Alors, à même le vide, il met en évidence la photo où les siens le regardent avec amour, tendresse et complicité. Il se rappelle. C’était une nuit d’hiver. Le temps s’était ramassé en une étreinte, un mot réjoui, un clin d’oeil rémissible. Et l’absence fut abolie, laissant place à ce rire à l’unisson. Donc, la photo sera en biais, de sorte que ses yeux s’ouvrent, chaque matin, sur ce bonheur à trois. Au coeur de la pénombre, il dépose soigneusement les médicaments qu’il doit, sans faute, ingurgiter à son lever. Car dès les premiers battements, il est tenu d’enrêner son coeur qui a pris la fâcheuse habitude de s’emballer trop vite, va le précédant, le laissant souvent sur le trottoir. Pas d’effort. Pas de contrariété. Encore moins broyer le noir. Faire très attention, sachant que « la maladie est un signe de ce qu’on ne sait pas». Il regarde par le hublot et rend le même salut chaleureux à l’albatros, dauphin, écureuil, huppe, daurade, girafeau, paonne, homard, lézardon, coccinelle, merle, oursin, goéland, espadon, langoustine, aiglon, souriceau, chevrette, etc. qui viennent lui souhaiter la bienvenue. Gentils compagnons, se dit-il, en accoudant à l’angle éclaté le plateau en cuivre qui ne se donne à voir qu’avec les trois boîtes en coupole destinées à contenir le thé, le sucre et la menthe. Sa mère ne pouvant l’empêcher de s’exiler, voilà presque quarante ans, les larmes par tous les pores du corps, avait caché dans ses bagages légers cet inestimable souvenir. C’était l’offrande que son père avait envoyée pour la demander en mariage. Il sent les larmes rouler à entendre sa mère l’interroger à chaque retour d’exil : tu es maigrichon, mon fils. Manges-tu à ta faim ? Es-tu en bonne compagnie ? Dors-tu suffisamment ? J’espère que tu ne fais pas de la politique. Mère, si tu savais ! Non loin de l’angle éclaté, il adosse au vent la porte peinte, aux formes géométriques répétées à l’infini. C’est le seul vestige qui lui reste de la demeure paternelle. Détaché de son contexte, il narre avec amertume le destin du laissé-pour-compte. Aussi, expose-t-il le poignard ciselé que son père portait les jours de fête et que lui touchait de sa petite main quand, tous deux, se promenaient à travers les ruelles tortueuses de sa ville natale. Ce poignard, lui avait confié un jour le patriarche, sera ton seul héritage, prends-en soin. Il est le signe de ton appartenance et le témoin de ce que vécurent tes aïeux. En vertical, il laisse pendre un ensemble de coquillages, assorti d’un médaillon en terre cuite que sa fille lui avait offert, un après-midi d’automne, sur les rochers d’une mer déchaînée. Depuis, c’est son porte-bonheur. Au centre du noyau aérien, il dresse une table basse, encore offerte par sa mère lors du fameux exil. Elle craque sous le poids de livres, dictionnaires, disquettes, CD, cassettes, jetés en vrac, un cendrier en faïence plein de mégots, un bougeoir en cuivre, un soliflore et d’une sculpture en cèdre massif. Puis, il jette un regard circulaire tout autour de lui. Maintenant, il accroche les toiles et dessins ; travaux d’amis peintres avec qui il a partagé les illusions, rêvé, entrepris des projets insensés, vécu à contre-courant et passé des nuits et des nuits à siroter le nectar, à palabrer, refaire le monde, construire des musées, des galeries, des ateliers, à éditer des revues, signer des pétitions, à organiser des rencontres, des festivals… Il reprend son souffle, allume une cigarette en tissant un voile entre lui et son médecin (pourvu qu’il soit au chevet d’un autre malade). Une sensation originale traverse à foison ses sens, fourmille le long de son corps. Fait-il la sourde oreille, résolu à faire durer la jouissance de macérer en son intérieur le dire à venir. Mais l’appel devient de plus en plus pressant. Harcelé de partout. Dedans. Dehors. Voit son corps quitter son corps ; devenu maître de lui-même ; voltige et ne suit que les sillons déjà en bourgeons. Il se supporte de moins en moins ainsi. Tolère-t-il encore le report, alors qu’il se sent envahi de mots, d’images, de sonorités, de mélodies, du silence d’où naîtra sa voix. Et tel un mustang fougueux, il installe à la hâte son ordinateur, classe ses fichiers, met fort, très fort sa musique préférée, Malhoun, Jazz, Gnaoua, Luth, Cithare, Saxo, Piano, et tape, tape, tape sur le clavier…Jusqu’à mourir de mort rageuse.

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