Culture

Une nuit aux anciens abattoirs de Casablanca

© D.R

Où manger du bon méchoui, et croquer à belles dents une tête de mouton fumante passée minuit? Les noctambules casablancais vous désigneront un seul endroit : les anciens abattoirs de Casablanca. Caché juste derrière l’Usine Carnaud, transformée aujourd’hui en show-room, l’endroit semble sortir tout droit d’un film sur le Maroc des années 70.
Officiellement en cessation d’activités, ce haut lieu de la «gastronomie », ne s’est jamais aussi bien porté que lorsque la commune de la ville et les autorités locales ont décidé de le transférer ailleurs. Rien à faire, tous les programmes qui devaient supplanter l’industrie du méchoui ont été abandonnés, les uns après les autres, à l’image du projet de construction d’un Technopark abandonné sine die.
Du coup, après une période de flottement à la fin des années 90, l’activité est repartie de plus belle dans les hangars et les vieux bâtiments où règne un brouillard blanc riche de toutes les bonnes odeurs de la viande.
Les clients y arrivent par paquets, 24 heures sur 24. Si de jour, les adeptes sont souvent les Marocains de tout milieu, des familles de la classe moyenne en général, à partir de 23 heures, les choses deviennent sérieuses comme le témoignent la plupart des tenanciers de ce commerce.
C’est une clientèle toute particulière qui fait les honneurs de la tablée, avec la horde issue des bars et des pubs. «Pas meilleur moyen de soigner une bonne cuite qu’une tête de mouton», souligne M. M, chemise blanche ouverte, jean et veston en velours noir. Client notoire des abattoirs, cette bête de pub est un habitué de chez le «Soussi », lequel gère avec ses frères, l’un des dix restaurants alignés à la queue-leu-leu. «le seul moment où l’on est fermé, c’est durant la fête de l’Aid El Kébir», déclare le maître des lieux en parcourant sa salle d’un regard circulaire.
La concurrence est évidemment rude, au bonheur du client qui peut se permettre d’engager de longues négociations où il sort souvent gagnant. C’est la solution de M.M, qui après une fréquentation assidue, a ouvert un carnet de comptes réglable toutes les fins de mois, comme d’autres le font avec leur banque.
Attention, tout assidu qu’il est, M. M est difficile dans les négociations.
 L’option tête de mouton, à 70 dirhams, s’avère chère pour une bourse déjà mise à rude épreuve par une tournée qui a commencé à la Cigale, s’est prolongée à la Kasbah, et qui devrait finir en apothéose quelque part dans l’une des nombreuses boîtes de nuit de la Côte casablancaise.
 Loin de se laisser démoraliser par la ténacité de son client, le Soussi ressort de la grosse marmite bouillante, un autre morceau noirâtre et gluant, nettement plus petit que le premier: «je t’offre cette tête-là à 60 dirhams. Vois comme c’est bien cuit, touche-là. N’insiste pas, c’est le dernier prix !» argumente le gérant bien décidé à ne pas lâcher prise. M.M dégustera sa commande une dizaine de minutes plus tard, en plein air, dans une musique assourdissante, en essayant d’éloigner de sa main, une horde de chats, appartenant elle-aussi à la clientèle nocturne des lieux. Difficile en effet de résister à la tentation d’une tête de mouton, d’un agneau roti, ou de quelques belles côtelettes, préparées avec toutes les épices et le savoir-faire des maîtres de ces lieux. Le kilo varie entre 120 et 140 dirhams, servi à chaque fois avec de l’oignon et de la tomate. Comme boisson, ceux comme M.M qui veulent redescendre sur terre préfèrent une théière de thè très chaud. Un choix fait aussi par un groupe de joyeux vivants, assis tout à l’écart, avec tous les signes extérieurs auxquels l’on reconnaît les disciples de Bacchus. Deux moments de la nuit bénéficient d’une mobilisation particulière aux abattoirs. Il y a d’abord l’heure de fermeture des pubs à 1 heure du matin. Quinze minutes plus tard, l’endroit est envahi de jeunes et moins jeunes, en tenue de soirée. Un mélange de genre inédit se forme entre les camionneurs, les négociants venus de la campagne, habillés en général, de la tête au pied et de belles créatures, pantalon taille-basse, nombril au vent.
L’ambiance est alors propice à la rencontre comme le témoignent ce soir-là les œillades appuyées et les mimiques discrètes de quelques belles demoiselles assises deux tables plus loin et qui, malgré la vigilance de leurs accompagnateurs, parvenaient à échanger avec le langage muet des yeux.
Autre moment fort, la deuxième vague des clients, se situant entre 3 et 4 heures du matin, à la fermeture des boîtes de nuit. C’est l’heure où les petits taxis viennent stationner devant les abattoirs, certains pour marquer une pause et se restaurer, la plupart pour guêter la clientèle de qualité.
Les gérants des abattoirs le savent bien, les fortunes sont diverses suivant les jours et les saisons. L’hiver ne fait pas le bonheur du «Soussi», contrairement à l’été, période où les équipes sont doublées et, en termes de marketing, chacun soigne sa devanture : nouvelles tables, nouveaux décors pour attirer le maximum de MRE (Marocains résident à l’étrangers). S’il est de bon ton pour les jeunes branchés de préférer «des endroits plus fréquentables et plus esthétiques» que les abattoirs, la jeunesse immigrée ne jure que par l’endroit.
Derrière le vieux bâtiment des abattoirs, une autre activité prospère : ici on vend les bêtes sur pieds. Il est toujours possible de venir négocier (le kilo sur pied tourne autour de 39 dirhams). En cas d’accord, la bête peut être égorgée sur place (officiellement c’est interdit) et, au choix, préparée en méchoui moyennant 100 dirhams. Evidemment, chevillards, courtiers et autres marchands font de bonnes affaires, narguant les nouveaux abattoirs qui, de guerre lasse, font avec cette concurrence inattendue.

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