Immobilier

Actes immobiliers : Les notaires inquiets

© D.R


Depuis quelque temps, la presse écrite publie des articles sur un pseudo-conflit existant entre les notaires d’une part, les agents d’affaires et les experts-comptables d’autre part. Ces articles rapportent que les notaires essayent d’empêcher ces derniers de recevoir et rédiger les actes translatifs d’immeubles et de droits réels immobiliers.
Le journal L’Economiste du mercredi 19 octobre 2005 a même publié une caricature montrant un notaire menaçant un expert comptable avec un couteau.
Les agents d’affaires et les experts-comptables ont eux-mêmes et à maintes reprises, publié des communiqués de presse pour faire valoir leur droit à la rédaction des actes relatifs à la vente d’immeubles soumis au statut de la copropriété, à celle d’immeubles en état futur d’achèvement et ceux relatifs à la location-accession.
En ma qualité de président de la Chambre nationale du notariat moderne, je tiens présentement à exposer le problème avec toute la clarté qu’il requiert de manière que le public soit informé sur la véritable nature de ce même problème et sur la justesse de l’inquiétude des notaires. Il s’agit en réalité d’apprécier la légalité ou l’illégalité de l’arrêté signé par les ministres de la Justice, de l’Habitat et de l’Agriculture, lequel arrêté prévoit les conditions requises des professionnels autres que les notaires, les avocats agréés près la Cour suprême et les adouls, et qui seraient autorisés par voie réglementaire à rédiger les actes translatifs d’immeubles soumis au statut de la copropriété, d’immeubles en état futur d’achèvement et les actes relatifs à la location-accession.
Autrement dit, il se pose un problème d’interprétation des articles 12 de la loi 18/00 relative au statut de la copropriété- 618-3 de la loi 44/00 relative à la vente d’immeubles en état futur d’achèvement et 4 de la loi 51/00 relative à la location-accession.

Contenu des articles 12-618/3 et 4

L’article 12 commence par ceci :
«Sous peine de nullité, tout acte relatif au transfert de la copropriété ou de la constitution, du transfert, de la modification d’un droit réel ou l’extinction dudit droit, …»
L’article 618-3 de la loi 44/00 commence par ceci :

 «La vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement fait l’objet d’un contrat préliminaire qui doit être conclu, sous peine de nullité, soit par acte authentique, soit par acte ayant date certaine …»
L’article 4 de la loi 51/00 commence par ceci :
«La location-accession fait l’objet d’un contrat qui doit être conclu, sous peine de nullité, soit par acte authentique, soit par acte ayant date certaine…»
Ensemble, ces mêmes articles ajoutent, et cette fois-ci la suite leur est commune, et je la reprends fidèlement «… par acte authentique, soit par acte ayant date certaine dressé par un professionnel appartenant à une profession juridique et réglementée, autorisé à dresser ces actes par la loi régissant ladite profession.
La liste nominative des professionnels agréés pour dresser lesdits actes est fixée annuellement par le ministre de la justice.
Sont inscrits sur cette liste, les avocats agréés près la Cour suprême conformément à l’article 34 du Dahir portant loi numéro 1-93-162 du 22 Rabï I -1414 ( 10 septembre 1993) organisant la profession d’avocat. Les conditions d’inscription des autres professionnels agréés pour dresser lesdits actes sont fixées par voie réglementaire. Une lecture attentive des articles sus-visés révèle que les conditions cumulatives requises pour rédiger les actes qu’ils prévoient sont : une profession ; juridique ; réglementée. Or, les seules professions basiques remplissant à ce jour ces conditions sont: la profession de notaire, celle d’avocat, et celle des adouls.

Agents d’affaires et experts-comptables

Les ministres signataires de l’arrêté sus-évoqué, considèrent que l’activité des agents d’affaires et la profession d’expert-comptable sont également des professions juridiques et réglementées et comme telles, habilitées à rédiger les actes dont s’agit.

Position des notaires et arguments contraires

Je tiens, d’emblée, à préciser que le point de vue des notaires ci-après développé rejoint parfaitement celui des avocats et des adouls. S’agissant du Dahir du 12 janvier 1945 relatif aux agents d’affaires, il énumère à son article premier les activités que les agents d’affaires doivent exercer à titre permanent pour être qualifiés comme tels. Mais ce texte ne contient pas la moindre référence aux rapports qui doivent lier les agents d’affaires à la clientèle.
En revanche, les professions de notaire, d’avocat et d’adoul font de ces rapports la clé de voûte, car il y va de la sécurité des transactions et plus généralement de la moralisation qui doit prévaloir dans le commerce juridique. Essayons brièvement de décortiquer le texte du 12 janvier 1945 pour faire comprendre au public qu’il ne régit pas une profession juridique et réglementée avant de démontrer son abrogation découlant de preuves légales formelles.
L’article premier de ce texte précise que : pour l’application du présent Dahir sont réputés agents d’affaires les personnes physiques ou morales:

1°/ qui exercent habituellement la profession :
– De courtier ou d’intermédiaire, soit pour la vente d’immeubles ou de fonds de commerce, soit pour la recherche de capitaux en vue de placements ou de prêts assortis ou non d’une hypothèque, d’un gage ou d’un nantissement ;
– De gérant des affaires d’autrui, litigieuses ou non, et notamment, de gérants d’immeubles, de successions ou de fortunes ;
– D’agent pour la location d’immeubles ou d’appartements ;
– D’agent pour le recouvrement des créances.

2°/ qui interviennent dans le dépôt de brevets d’invention, de marques de fabrique ou de commerce, de dessins et modèles ou dans les transactions se rapportant auxdits brevets, marques, dessins et modèles ;

3°/ qui, en dehors des avocats, s’occupent habituellement de contentieux ou de rédaction d’actes, interviennent dans les opérations d’immatriculation d’immeubles, ou exercent la profession de conseil juridique ou fiscal, de commissaire aux comptes, d’organisateurs de comptabilité, d’expert-comptable, de géomètre -topographe ». 

Cet article premier est un véritable fourre-tout et encore que la liste n’est qu’indicative. Or, c’est un lieu commun qu’une profession juridique et réglementée ne peut pas, sous peine d’hérésie juridique, s’adresser à l’anonymat et officialiser des activités  indéterminées et informelles.
Ce même article parle de profession de conseil juridique ou fiscal alors qu’en fait il s’agit d’une activité commerciale exercée à titre professionnel et habituel. Le législateur marocain a saisi l’inutilité du texte de 1945 et a permis à certaines activités qui figurent à ce jour dans l’énumération de l’article premier de se singulariser en raison de leur impact économique et les a dotées de textes spécifiques. Tel est le cas des experts-comptables régis actuellement par la loi numéro 15-89 promulguée, par Dahir du 08 janvier 1993 et des géomètres topographes régis actuellement par la loi 30-93.
Le reliquat des activités figurant encore dans l’énumération de cet article premier a été intégré à l’article 6 de la loi numéro 15-95 formant code de commerce, promulguée par Dahir du 1er août 1996. La question qui se pose est de savoir si une profession juridique et réglementée peut être commerciale. Personne ne pourra se hasarder à répondre par l’affirmative.
L’activité juridique ne peut pas être de nature commerciale. Les agents d’affaires font partie intégrante des activités de services, dès l’instant où l’activité d’intermédiation est de l’essence même de leur travail.
Ils accomplissent des actes de commerce et sont assujettis aux obligations imposées aux commerçants y compris l’immatriculation au registre de commerce tenu au tribunal de première instance de commerce. Nous constatons donc un éclatement du Dahir du 12 Janvier 1945 par son abrogation tacite et faute de personnes auxquelles il peut s’appliquer.
Retenons néanmoins et pour les besoins de notre présente étude que ce texte survit encore et posons-nous la question de savoir s’il est susceptible d’application effective.

Ineffectivité du texte du 12 janvier 1945

Ce texte de 1945 contient des vices propres qui l’empêchent de recevoir une application effective. Je ne reprendrai pas le vice de fond qui vide ce texte de sa substance et qui découle de l’absence de toute référence aux rapports des agents d’affaires avec la clientèle, et je me contenterai d’en relever d’autres non moins importants.
L’article 11 dudit texte précise que les agents d’affaires sont tenus en ce qui concerne les opérations au Maroc, de se conformer aux dispositions des articles 10-11-12 et 13 du Dahir du 12 Août 1913 formant code de commerce, abrogé particulièrement par la loi numéro 15-95 formant code de commerce. Mais cette  référence au code de commerce fait obstacle à qualifier leur « profession » de juridique et encore moins de réglementée. L’article 13 astreint les agents d’affaires au dépôt d’un cautionnement pour répondre des fautes qu’ils commettent dans  l’exercice de leur activité, mais cet article ajoute que les conditions qui organiseront ce dépôt seront fixées par arrêté du directeur des finances. Cet arrêté n’a pas encore vu le jour. Cela fait donc 60 ans, que cet arrêté fait défaut. Nous pensons que pendant tout ce temps, les citoyens qui ont eu recours aux agents d’affaires ont risqué leur patrimoine. Dans les professions juridiques et réglementées, pareille négligence n’existe point. L’article 12 fait obligation aux agents d’affaires de tenir un registre au siège de leur activité principale et à celui de leurs succursales, mais ajoute que la forme de ce registre, qui doit être côté et paraphé par le président du tribunal de première instance, sera déterminé par le ministre des finances.
Toutes les opérations, actes et conventions accomplies par l’agent d’affaire doivent y figurer, par ordre chronologique, sans blanc ni ratures. Le même article ajoute une obligation inhabituelle dans les professions juridiques et réglementées et selon laquelle les opérations que les agents d’affaires font pour leur propre compte seront inscrites à l’encre rouge sur ledit répertoire. Jusqu’à présent, l’arrêté du ministre des Finances n’a pas vu le jour et aucun agent d’affaires ne se sentirait obligé de  donner application à cette disposition.
La non-tenue d’un tel registre rend l’activité de l’agent d’affaires informelle et insaisissable. La référence à des arrêtés devant émaner de l’autorité des finances explique que le texte de 1945 a été l’œuvre de cette même autorité pour identifier les agents d’affaires et les contraindre au règlement des impôts et taxes auxquels sont soumis les commerçants. C’est donc un texte essentiellement à caractère fiscal.
Les articles 15 et 16 du texte de 1945 confirment ce caractère, dès l’instant où le premier énonce que le taux maximum des courtages à percevoir par les agents d’affaires, à l’occasion d’opérations concernant des immeubles ou des fonds de commerce, sera fixé par arrêté du directeur des finances, après avis des Chambres françaises consultatives de commerce et d’industrie.
Le deuxième modifié par Dahir du 11 juillet 1948 soumet les agents d’affaires en leur qualité de courtier ou d’intermédiaire pour l’achat ou la vente d’immeubles ou de fonds de commerce au droit de communication pour l’application aux actes dressés par eux au droit de timbre.
Sur un autre chapitre, aucun droit de regard sur l’activité de l’agent d’affaire n’est prévu, alors que les textes régissant les professions de notaire, d’avocat et d’adoul contiennent des dispositions disciplinaires abondantes.
L’on se pose la question de savoir si ces arrêtés verraient le jour, notre réponse est que le texte du 12 janvier 1945 est abrogé par scission, car les activités qu’il énumère à l’article premier ont fait l’objet soit d’une réglementation spécifique, soit d’une intégration dans la loi numéro 15-95 formant code de commerce (article 6).

Les experts-comptables

Ce sont nos amis et avec lesquels nous entretenons des relations respectueuses. Certains d’entre eux estiment que leur profession est aussi juridique et qu’ils sont habilités à dresser les actes évoqués précédemment.
Nous leur répondons avec respect que tel n’est pas le cas, et il suffit pour s’en convaincre de lire l’article premier de la loi numéro 15-89 réglementant leur profession, et que je me permets de reproduire littéralement et fidèlement pour que le public en prenne connaissance et se fasse une idée précise sur les compétences de l’expert-comptable:

Article  premier :
«Est expert-comptable celui qui fait profession habituelle de réviser, d’apprécier et d’organiser les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n’est pas lié par un contrat de travail. Il est seul habilité à :

– attester la régularité et la sincérité des bilans, des comptes de résultats et des états comptables et financiers;
– délivrer toute autre attestation donnant une opinion sur un ou plusieurs comptes des entreprises ou des organismes ;
– exercer les fonctions de commissaire aux comptes.
Il peut aussi :
– exercer les fonctions de commissaire aux apports ;
– analyser et organiser les systèmes comptables ;
– ouvrir, tenir, redresser, centraliser, suivre et arrêter les comptabilités – donner des conseils et avis et entreprendre des travaux d’ordre juridique, fiscal, économique, financier et organisationnel se rapportant à la vie des entreprises et des organismes».

Le dernier alinéa est ou ne peut être plus clair : les travaux d’ordre juridique doivent se rapporter à la vie des entreprises et des organismes dont ils détiennent la comptabilité. Par cet alinéa qui considère les travaux juridiques comme accessoires puisqu’il parle de travaux d’ordre juridique et non pas d’actes juridiques, le législateur a aussi voulu donner un sens étroit au terme VIE de l’entreprise.
Ce terme nous renvoi à la capacité juridique de l’entreprise. Il s’agit, entre autres, de la constitution de l’entreprise, les mutations de son capital social, de sa forme et les procès verbaux constatant ces mutations. Si le législateur voulait donner compétence aux experts-comptables de rédiger les actes translatifs d’immeubles et de droits réels immobiliers, il l’aurait fait expressément dans l’article premier de la loi sur les experts-comptables.
Par ailleurs, aucun pays de droit écrit de l’Union européenne qui a un texte de loi sur les experts-comptables similaire à celui de notre pays n’habilite ceux-ci à dresser de tels actes.
Nous pouvons également nous poser légitimement la question de savoir si les experts-comptables ont le temps pour dresser ces actes alors que le nombre d’opérations à caractère comptable, fiscal et financier qu’ils sont chargés habituellement et de manière exclusive à accomplir, est impressionnant.

Lettre adressée aux pouvoirs publics

Devant ce risque de voir la profession de notaire disparaître ou de continuer à vivre à l’état d’agonie dans un courage de désespoir, les notaires ont adressé un courrier aux pouvoirs publics pour les sensibiliser sur le sort réservé à leur profession au cas où d’autres rédacteurs seraient autorisés par voie réglementaire à rédiger les actes en question sans remplir les 3 conditions sine qua non requises par la loi numéro 18/00- 44/00 et 51/00 précitées, à savoir leur appartenance à une profession, juridique et réglementée. Le texte initial de la loi 18/00 sur la copropriété devait donner compétence en cette matière aux seuls actes authentiques, c’est à dire aux notaires, adouls et à l’administration publique en conformité avec les Dahirs du 3 janvier 1916 et 19 octobre 1921. Mais lors de son adoption par le parlement, il lui a été adjoint les avocats agrées près la cour suprême et l’alinéa 4 qui parle des autres professionnels.
Si les premiers remplissent effectivement les conditions requises, les seconds doivent également respecter lesdites conditions.
Nous estimons que l’alinéa 4 ne peut être considéré isolément et que les personnes auxquelles il s’adresse doivent absolument satisfaire aux conditions requises par l’alinéa premier de l’article 12 de la loi 18/00. l’unicité des articles 12-18-3 et 4 est d’ordre public et aucune de leurs dispositions ne peut être envisagée indépendamment des autres.
Admettre le contraire serait bafouer les principes les plus élémentaires qui soubassent toute règle de droit et dont l’ignorance conduirait à  l’incohérence. Au plan du droit pur, l’exécutif ne peut empiéter sur le domaine du législatif. Ce dernier est le seul habilité à créer des professions juridiques et réglementées. Nous craignons que l’arrêté signé par les ministres sus nommés ne franchisse le rubicond et donne ainsi naissance à un genre d’acte qui n’est ni sous seing privé ni authentique. Tout de même il s’agirait d’un acte semi- authentique qui banaliserait l’acte authentique. Ce serait un acte sans support juridique dès lors que le Dahir sur les obligations et les contrats n’en parle pas. 
Si cet acte prenait naissance et venait de nulle part, quel serait l’intérêt à maintenir en survie l’acte authentique ?
Cette survie s’analyserait en un courage de désespoir insensé, et les notaires pourraient se rabattre sur le texte du 12 janvier 1945 auquel ils s’assujettiront avec plaisir, étant donné sa souplesse et son ineffectivité. Cette perspective est sérieusement envisagée alors surtout qu’ils seraient dépouillés de leur seul gagne-pain : la rédaction d’actes.
Le président de l’Association des agents d’affaires a reconnu lui-même que ceux-ci monopolisent 90% des actes translatifs d’immeubles et de droits réels immobiliers. Le reste, soit 10%, est partagé entre les professions juridiques et réglementées.
La question est donc de savoir si le texte du 12 janvier 1945 n’est pas un moyen pour permettre à ceux qu’il est censé régir de s’accaparer ce reste?

• Me Nour-Eddine Skouked

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