Editorial

Éditorial

Un historien, Jean Tulard, spécialiste de la Révolution française, dans une savante interview au quotidien français Le Monde, a fait passer un examen de conformité à la révolution tunisienne. Entre une révolte généralisée qui délégitime totalement un pouvoir passablement discrédité et une révolution, il y a encore du chemin à faire. Dans la première étape, celle du refus violent et spontané, il n’y a ni leader ni idéologie. Des émeutes concomitantes, sur tout le territoire, expriment un ras-le-bol généralisé par une violence multiforme. La coordination des actions est intuitive et l’effet de contagion fait le reste. En Tunisie, c’est cette étape qui vient d’être terminée. Suit, ensuite, selon notre spécialiste, une période d’instabilité assez importante, et assez durable, au cours de laquelle la violence continue et met en scène diverses forces de résistance — une fraction de la police et la garde présidentielle en Tunisie — et des forces «nouvelles» qui commencent à se positionner pour le pouvoir. L’alternative politique n’est pas encore élaborée, les élites de l’ancien régime sont toujours là, incontournables, et l’offre révolutionnaire n’est pas au point. Parmi les révolutionnaires eux-mêmes, ou parmi ceux qui veulent gérer la transition, les désaccords apparaissent et parfois même la violence s’installe entre eux. Entre les débuts d’une purge, les règlements de comptes, les revanches et la finalisation d’un nouveau projet de société, pour le coup, cette fois-ci, révolutionnaire, plusieurs mois, ou plusieurs années, peuvent passer. Les Tunisiens en sont là aujourd’hui. Une élite de l’ancien régime est aux commandes pour préparer la transition et assurer un minimum de continuité de l’état. Des ex-opposants, des courants politiques antagoniques, pris de court par la révolte, n’arrivent pas encore à formuler un projet politique collectif de nature révolutionnaire, c’est-à-dire qui constitue une rupture totale avec l’ancien régime. Un bricolage constitutionnel sert de viatique à tout le monde. La Révolution française a mis près de trois ans pour clarifier un peu les choses, sans jamais y arriver. Entre-temps, il y a eu la terreur qui a fini, à la fin du processus, par la liquidation des révolutionnaires entre eux. Après, il va y avoir Bonaparte, mais cela est une autre histoire. La Tunisie est aujourd’hui dans la phase confusion. Entre les ex-élites honnies qui ont trusté le pouvoir de la transition et ceux qui se réclament d’une révolution du Jasmin indéfinie, pour l’heure sans projet, sans leaders, et qui, avec la fuite de Ben Ali, a perdu son objet «fédérateur», le pays se cherche une voie. La voie révolutionnaire pacifique est historiquement très rare : l’exemple portugais est quasi unique. La neutralité absolue de l’armée est, elle aussi, historiquement impossible. Dans les périodes révolutionnaires, les armées jouent un rôle décisif  quand elles ne pilotent pas elles-mêmes les événements. En Tunisie, le dernier mot reviendra probablement  à l’armée, c’est elle qui va faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

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