Editorial

Les délices du bain maure

© D.R

La guerre des chevillards de Casablanca contre le nouvel abattoir a eu des dommages collatéraux incalculables. Les poules, les victimes les plus désignées, sont tombées comme des mouches. Le nombre des victimes est aujourd’hui inestimables. Les chevillards se battent avec le Wali de la ville et ce sont ces pauvres gallinacés qui trinquent.
Le problème c’est que nos professionnels de la boucherie et de l’abattage ne font jamais dans la dissuasion. Tout de suite avec eux c’est sanguinaire. Ça gicle, ça égorge, ça tranche dans le vif. Il refuse la nouvelle pesée électronique à l’entrée et à la sortie, l’hygiène, l’organisation et surtout la nouvelle valeur de la taxe d’abattage. Pour un équipement qui devrait tourner à 80 000 tonnes par jour, il ne fait que 20 000 tonnes. Le reste de la viande consommée par les Casablancais, quand ils la trouvent, vient des douars environnant ou de l’abattage clandestin. C’est la même chose et c’est du propre.
Ceci dit, en temps normal, il y a toujours eu de l’abattage clandestin à Casa dans des quartiers populaires comme Derb Ghallef ou autres. Le problème, aujourd’hui, face à la crise de production de la viande rouge c’est que le marché clandestin, malgré l’organisation formelle de ses jeunes promoteurs, ne peut plus faire face à la demande. Les lieux d’abattage ne suffisent plus. À la Zaouia à Derb Ghallef, les hammams sont réquisitionnés. Après le départ du dernier client, bien récuré, vers vingt trois heures les chevillards débarquent avec leurs bêtes.
Vous voyez le topo d’ici. Tout le monde au hammam. On commence par chauffer les bêtes, une affaire de relaxation, pour les préparer à l’onction extrême. Un petit massage léger, voire des petits étirements et ensuite on passe à la chambre moyenne. Là, le niveau du débat change. Les animaux sont invités à faire preuve de modestie devant les masseurs de tout à l’heure qui ont changé de prédisposition mentale.
Leurs yeux brillent en même temps que leurs lames dans la moite obscurité. Certaines bêtes choisissent de céder dans la dignité, d’autres non. Les animaux font une résistance symbolique aidés dans leur acte de bravoure par le sol savonneux et glissant et une chaleur langoureuse et sensuelle qui n’invite pas nécessairement aux rapports de force. Mais ils finissent quand même par rendre les armes devant des barbares excités par l’odeur du sang, la couleur de la viande, l’appât du gain et l’allégorie éminemment sexuelle d’un hammam vide la nuit où le sang gicle sur un sol humide comme provenant d’un gigantesque hymen mythique à la fois promis et interdit. Tout chevillard moyen, normalement constitué, dans cet environnement où Eros et Thanatos ne font qu’un, péterait les plombs.
Quand votre boucher vous proposera une viande propre, sachez qu’il ne vous ment pas. C’est une vérité au cynisme élémentaire. Et si vous le voyez sourire d’une manière bizarre, sachez également qu’il a une chance sur deux d’être habité par un Djinn vigoureux, les laïcs appellent cela un «gin tonic», mais peu importe. Vous savez que les Jnouns élisent domicile la nuit dans les hammams. C’est connu. Ils habitent ce qu’ils peuvent. Quand un chevillard bien dodu débarque dans un hammam la nuit pour y verser le sang de bêtes innocentes qui croyaient naïvement à une amélioration hygiénique substantielle de leur qualité de vie, le sang froid du Djinn ne fait qu’un tour. Il habite quelqu’un aussi vite que l’on construit une baraque dans un bidonville. Vite fait bien fait. Morale de l’histoire, sans vous refiler une cote mal taillée, c’est que le chevillard est malin mais Driss Benhima l’est encore plus. C’est un vrai diable.

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