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Liberté de la presse: Comment se portent les plumes du Maroc ?

© D.R

Le nombre des jugements dans les affaires afférentes au secteur de la presse et de l’édition est passé de 56 en 2014 à 24 jugements en 2015.

Le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, vient de dresser son bilan sur l’état des lieux de la presse marocaine. Son rapport de 2015 relève une «avancée» en termes de liberté, de diversité et d’indépendance de ce métier. Quelles sont les grandes tournures que la presse a vécues en 2015 ? Et quelles sont les limites du constat posé par la tutelle ?

«L’année 2015 reste distinguée en matière de promotion de liberté et d’indépendance de la presse au Maroc et de renforcement de la pluralité et de la protection des journalistes», c’est ce qu’avait souligné, mercredi à Rabat, le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi. Dans son argumentaire, ce dernier s’est appuyé sur un ensemble de nouveautés ayant alimenté le paysage médiatique  au cours de l’année écoulée. A commencer par l’adoption en Conseil de gouvernement du projet de loi 13.88 sur la presse et l’édition, et l’adoption par le Parlement du projet de loi N°13.90 portant création du Conseil national de la presse et du projet de loi n°13.89 relatif au statut des journalistes professionnels.

Pour rappel, la dernière version du projet de code de la presse, datée de décembre et présentée actuellement devant le Parlement, a été saluée par de nombreux acteurs. Mustapha Khalfi avait même notifié dans l’une de ses déclarations à la presse «une avancée très importante sur la voie de la protection et de la consécration de la liberté de la presse», en relevant le point stipulant que le journaliste ne sera plus soumis à la contrainte par le corps s’il justifie son insolvabilité s’agissant du paiement d’amende ou de dédommagements. A ce propos, le ministre n’avait pas manqué de mentionner, mercredi dernier, les amendes modérées prononcées par les chambres spécialisées dans les affaires de presse au niveau de Casablanca et Rabat, rappelant que la justice «a opté pour l’imposition des amendes modérées dans des affaires de presse et d’édition, sauf dans des cas exceptionnels».

La Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) ne semble pas être du même avis. Elle indique que cette version «contient encore des dispositions régressives ou aggravantes, rendant ses inconvénients plus nombreux que ses avantages». La FMEJ avait notamment attiré l’attention sur une menace d’ordre économique, qui plane sur l’existence de la presse, qu’elle a résumée en «l’interdiction idéologique de la publicité d’institutions publiques dont les revenus profitent au gouvernement et l’imposition d’un tarif de publicité pour la presse électronique et écrite qui ne peut être révisé qu’une fois par an». Toutefois, et paradoxalement à ces contraintes, le rapport présenté par Mustapha Khalfi met la lumière sur l’initiative de mise en place d’un système d’aide à la presse. Il s’agit d’une augmentation du montant de soutien direct à ce secteur de 50%. Ces subventions passent, en effet, de 42 millions DH en 2012 à 60 millions en 2015.

S’agissant du lourd chantier de protection des journalistes. Khalfi a passé en revue les «exploits» en matière de garanties judiciaires à l’exercice de la liberté de presse. 2015 a, en effet, accusé une baisse du nombre des jugements dans les affaires afférentes au secteur de la presse et de l’édition. Ces derniers sont passés de 56 en 2014 à seulement 24 jugements en 2015, «dont 14 acquittements, annulations ou incompétences», précise-t-il. L’autre point parlant selon le ministre est que l’année précédente a été marquée par un recul notable des cas d’agressions contre les journalistes lors de l’exercice de leur métier, avec 6 cas seulement, contre 13 en 2013. Rassurant, il a également indiqué que «le nombre de journalistes disposant d’une carte de presse a atteint 2.600 en 2015 contre 2.100 en 2014, soit une hausse d’environ 20%», note le ministre. Fait qui constitue, techniquement, une protection professionnelle pour les détenteurs de ces cartes.

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Interview de Jamila Sayouri, présidente de l’association Adala
«Il faut consacrer le principe de bonne foi»

ALM : Jusqu’où pouvons-nous nous vanter des arguments avancés lors de la présentation de l’état des lieux de la presse au Maroc ?
Jamila-SayouriJamila Sayouri : Depuis le début de l’année 2015, l’association Adala a recensé de nombreuses atteintes envers les journalistes, objets de pressions diverses, souvent accusés de diffamation ou d’allégations mensongères dès lors qu’ils émettent des critiques sur la politique engagée ou des affaires en lien avec des membres du gouvernement. Quelques jours avant la présentation de l’état des lieux de la presse au Maroc par le ministre de tutelle, le président du Syndicat national de la presse marocaine, Abdellah Bekkali, a été poursuivi pour diffamation à l’égard des autorités. Afin que les journalistes puissent faire leur travail, et que l’on puisse parler d’une liberté de presse, il est nécessaire de créer un environnement propice pour la mission presse sur plusieurs niveaux juridiques et politiques. On ne peut donc pas nous vanter, mais on peut se limiter à dire que sur le plan législatif, il y a eu des avancées.

En tant qu’acteur actif dans la promotion du droit aux procès équitables, estimez-vous qu’un journaliste est suffisamment «protégé» au Maroc ?

J’estime que les journalistes ne sont pas assez protégés. D’une part, il faut asseoir une indépendance de la justice tout en leur assurant une protection non seulement juridique mais aussi judiciaire. Il reste également à préciser les expressions vagues pour la détermination des infractions de presse ou d’interdiction de journaux en réduisant le champ d’interprétation de certains concepts. Il est important aussi de consacrer le principe de bonne foi. Il s’agit de l’introduction d’une disposition dans le Code de la presse édictant le principe de bonne foi du journaliste pour tout ce qui est publié. C’est à la partie demanderesse qui intente une action contre le journaliste de prouver sa mauvaise foi.

Pourriez-vous être plus explicite ?
La jurisprudence européenne s’est orientée dans ce sens en élargissant le champ de la liberté d’expression au lieu de le restreindre. Par exemple, lorsqu’il s’agit de liberté d’opinion et d’expression dans des affaires politiques ou intéressant l’opinion publique, la jurisprudence européenne ne fait pas obligation à l’accusé de produire la preuve attestant de la véracité de ses critiques. Elle suppose sa bonne foi du fait qu’il a soulevé une question d’intérêt public, visant à servir l’intérêt général malgré la rudesse du langage utilisé. La sanction d’une personne dans ce cas reviendrait à dissuader les gens de discuter librement des sujets d’intérêt public.
Que reste-t-il à faire, selon vous, pour garantir un libre exercice de la profession ?
Il est important de commencer par abolir les peines privatives de liberté dans les affaires de liberté de la presse et des médias. Ces peines ne devraient s’appliquer qu’aux personnes, en leur qualité de citoyens, conformément aux lois en vigueur, lorsqu’il s’agit des violations graves des droits de l’Homme, ou d’incitation au crime, à la guerre civile ou d’apologie des crimes contre l’humanité, d’extermination, de déportation forcée des populations, de racisme, d’enlèvement et de torture.

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