Culture

Le Fado est la voix de notre identité

© D.R

ALM : Comment êtes-vous venue à chanter le Fado ? Et que représente ce genre musical pour vous ?
Maria Ana Boboné : J’avais habitude, quand j’étais jeune fille, de chanter dans les messes religieuses. Et c’est là où un grand fadista portugais du nom de Joao Braga m’a écoutée pour la première fois. Un premier contact suite auquel il m’a demandé de le rejoindre pour des concerts qu’il organisait. Un producteur m’a proposé de faire un album quelque temps après. C’était il y a 13 ans. Après, les choses sont arrivées d’elles-mêmes : une invitation succédant à une autre, proposition de faire un album sur proposition et concert après concert.
A vous écouter, on sent une grande tristesse qui jaillit du Fado. Quelle explication y a-t-il à cette intense mélancolie ?
Il y a plusieurs explications à cela. Certains disent que le Fado est né quand les conquistadores portugais partaient à la quête de nouveaux territoires et continents. Des voyages aussi pénibles que longs et qui étaient marqués par le grand désarroi et la nostalgie du pays. Une autre théorie, nettement moins romantique, avance que le Fado est né dans les maisons closes auxquelles les hommes se rendaient moins pour s’adonner aux plaisirs de la chair que pour évacuer tous leurs malheurs. Toutes ces versions ne sont pas totalement fausses, mais personne ne peut dire à quel moment, ni dans quel environnement le Fado a vu le jour. Certaines des poésies que je chante remontent par exemple au 16ème siècle. Dans ces poèmes, aussi bien le terme Fado, qui signifie destin ou fatalité en portugais, que l’environnement auquel il renvoie étaient déjà utilisés.
Existe-t-il une dimension religieuse, liée à la culpabilité par exemple, dans le Fado ?
Bien au contraire, le Fado était considéré comme un art très profane. Ce sont des lamentations et des plaintes contre ce que le sort que nous réserve la vie, et donc contre cette Volonté qui en a décidé ainsi. Il faut préciser à cet égard que le Fado n’est pas uniquement une musique mélancolique. Dans certains cas, ce sont des chansons joyeuses, chantant la vie de tous les jours et relatant le quotidien. Deux aspects, ou dimensions qui font du Fado un véritable mode de vie plutôt qu’un art. Le Fado est aussi une façon bien portugaise de faire face à un destin ou une situation que l’on ne peut pas changer ou de les subir.
Quelle place occupe le Fado, une musique traditionnelle par définition, dans la société portugaise d’aujourd’hui, notamment auprès des jeunes ?
Le Fado a connu son âge d’or dans les années 1950, en grande partie grâce à Amalia Rodriguez, une chanteuse tout simplement fabuleuse et qui a su transporter le Fado dans les quatre coins du globe. C’est à ce moment-là que le Fado était devenu populaire. Le changement de régime au Portugal et le bouleversement qu’a connu la société, avec le passage du règne de la dictature à celui de la démocratie, ont entraîné un désintéressement à l’égard du Fado. Et ce pour deux raisons. La plus importante est que le Fado était assimilé à l’ancienne dictature, et donc mal vu. La deuxième a trait à l’introduction au Portugal de nouvelles tendances musicales, aussi diverses que modernes, vu l’ouverture que connaissait le pays. Actuellement, et depuis quelques années, le Fado est de retour. Plusieurs jeunes artistes en refont la conquête. Tout en étant fidèles à son esprit. Ceci parce qu’il est très difficile d’innover dans un genre musical sans enfreindre ses règles, et donc le dénaturer. Ces artistes ne se contentent pas de reproduire les vieux morceaux et en composent de nouveaux.
Quel est le secret du maintien de cette musique ?
Le Fado est par définition un art où on doit y mettre du sien. C’est une musique très personnelle et qui relate la propre expérience de l’artiste. C’est ce qui fait qu’il est toujours d’actualité. D’autant que les thèmes sont plus au moins universels, intemporels : l’amour, le destin, la mort, la tristesse le quotidien… Considéré comme relevant de l’ère dictatoriale, démodé, conservateur et naïf du temps de la révolution, il est maintenant le symbole pur et simple, et ce n’est pas un jeu de mots, d’une identité. La nôtre. C’est un art qui existe uniquement au Portugal. Cela étant dit, l’intensité qu’il communique existe dans d’autres genres musicaux comme le Tango, le Flamenco… avec lesquels le Fado partage les mêmes parallèles, mais pas les mêmes caractéristiques.
Le Fado semble également influencé par la musique arabe…
La présence arabe au Portugal date de plusieurs siècles. Plusieurs villes portent à aujourd’hui des noms arabes. Notre langue comprend également des mots arabes. L’influence arabe est présente aussi bien dans la culture, dans la langue qu’en musique. C’est tout à fait normal.

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