Grosses manoeuvres autour de la distribution des produits pétroliers au Maroc. Tout a commencé avec la signature vers la fin décembre 2001 d’un partenariat dit stratégique entre la Samir (Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage) et Somepi, propriété du groupe Amhal, au terme duquel une holding, Somigry, a été créée et dans laquelle le premier groupe détiendrait 40% et le deuxième 60%. Somigry recevra les participations suivantes: 100% de Somepi carburant, 50% de Tissir Primagaz et 50% de Somepi Texaco lubrifiants. La Samir remettra en échange un volume d’actions à son nouveau partenaire. Ceci pour ce qui est de la forme.
Le fond de l’affaire permet à la Samir de mettre un pied dans la distribution et à Somepi de s’introduire dans le raffinage. Un échange de bons procédés ? Voire…
Une telle alliance pour le moins surprenante n’a pas cessé d’intriguer les opérateurs du secteur puisqu’elle risque de bouleverser les données du marché. D’où l’inquiétude de ces derniers qui voient dans cette opération, qui a les apparences d’un projet industriel, un “tour de passe-passe“ pour renforcer le monopole privé de la Samir dans un secteur hautement stratégique et toujours protégé. En d’autres termes, la Samir à travers cette transaction n’a pas racheté une partie d’activité d’une entreprise, mais bel et bien des parts du marché de la distribution évalués à quelque 10%. C’est toute la différence. Les sociétés de bourse de la place surveillent en tout cas de très près cette nouvelle alliance dont certains craignent les effets pervers comme l’asphyxie du marché. Abderrahmane Saâïdi, directeur général de la Samir, s’en défend. « La Samir a ouvert son capital à Somepi. Mais elle invite les autres distributeurs, surtout marocains à faire de même. Dans ce sens, nous estimons avoir innové ». Il ajoute : « il est impossible que nous pratiquions une politique discriminatoire à l’égard des distributeurs. Nous traiterons Somepi et les autres sur un pied d’égalité. »
Discours soporifique ? En tout cas, les distributeurs ne sont pas rassurés et comptent probablement attaquer l’accord Samir-Somepi en justice qu’ils jugent d’ailleurs très discutable et non conforme à la loi sur la concurrence. Un professionnel explique: « L’équilibre du marché s’est toujours fait avec les entreprises marocaines. Il ne faut pas que cet équilibre soit rompu. Autrement, l’État risque de se mettre sous les fourches caudines des multinationales avec un déplacement du centre des décisions, à Londres, Stockholm ou ailleurs. »
En effet, La Samir n’est plus, depuis quelques années, une entreprise publique. Créée en 1959 par le Bureau marocain des études et des participations industrielles (Bepi), elle sera privatisée en 1995 avec l’introduction de 25 % de son capital par la biais d’une offre publique de vente (OPV), à la Bourse de Casablanca. Deux années plus tard, le gouvernement cède quelque 60% des parts de la société au groupe suédo-saoudien Corral. Lequel rachète ensuite le reste des actions détenues par l’État dans la Samir. Par la même occasion, ce groupe se porte acquéreur de près de 70% des actions de la SCP (Société chérifiennne de pétrole). Montant global de ces opérations : 400 millions de Dollars. C’est Abderrahmane Saâïdi lui-même alors ministre des Privatisations, qui a supervisé ces opérations de transfert. Pour se retrouver ensuite à la tête de la Samir.
L’unique raffineur du pays ainsi privatisé continuera à garder le monopole de l’importation des hydrocarbures avec des avantages substantiels en termes de droits de douane notamment. Ce qui n’arrange pas évidemment les intérêts des distributeurs qui ont réclamé à plusieurs reprises de s’approvisionner eux-mêmes sur le marché international. Sans résultat. Certes, la libéralisation du secteur est prévue mais elle n’est pas encore à l’ordre du jour. Elle risque de prendre beaucoup de retard. D’où le manque de visibilité qui caractérise la filière.
Voilà donc que la Samir, devenu groupe étranger, s’installe dans le secteur de la distribution. Une chose qui n’était pas prévue dans le cahier de charges de privatisation de la société. Somepi, compte tenu de sa position dans le secteur, aurait-elle servi de cheval de Troie dans cette affaire ? Explication de M. Saâïdi : Tout ce que nous attendons de notre partenariat avec Somepi c’est de sécuriser nos produits et connaître les tendances du marché et les préférences du consommateur.
Les concurrents de Somepi, eux, ne baissent pas les bras. Bien au contraire, ils continuent à mettre le turbo dans leur bataille du démantèlement de la protection douanière, tout en veillant à une rémunération juste et équitable du secteur. Objectif : Pour que le raffinage ne soit plus avantagé par rapport à la distribution et pour que les règles du jeu soient transparentes pour tout le monde. Le gouvernement de Abderrahmane Youssoufi, très sensible aux préoccupations et aux revendications des distributeurs, ne restera pas, quant à lui, les bras croisés devant les remous qui commencent à agiter ce secteur stratégique.