Société

France : Les démons de l’islamisme (52)

© D.R

La France accusée de «marchandage»
Paris, 4 mai 2004

Le 5 février 2000, cinq obus de mortier, visant des bâtiments de la République islamique d’Iran, s’abattent sur le centre-ville de Téhéran. Bilan : un mort et six blessés. Aussitôt, l’Organisation des moudjahidine du peuple iranien (OMPI), principal mouvement d’opposition au régime des mollahs, revendique l’action. Tois ans après, l’affaire rebondit en France. Le 6 mai 2003, une Iranienne, blessée par les éclats d’obus, dépose plainte à Paris. Est-ce un hasard? Un mois plus tard, une spectaculaire opération vise les militants de l’OMPI réfugiés en France. Le 17 juin, mille deux cents policiers investissent plusieurs sites hébergeant ces opposants iraniens, notamment à Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise), la commune étant considérée comme la «base logistique» du mouvement. Selon le DST, ces militants d’obédience marxiste et chiite ont revendiqué des attentats depuis la ville qui a inspiré Van Gogh et préparaient de nouvelles actions en Europe. La justice française s’interroge : quelle est sa compétence pour l’attentat de février 2000 qui a été perpétré en Iran et a touché des Iraniens? Selon la plaignante, une partie des commanditaires vivent en France et la justice française est donc fondée à enquêter. Pendant pluss d’un an, le dossier est examiné par les services de la Chancellerie. Cette affaire dépasse l’exercice de droit. Elle est ultrasensible sur le plan politico-diplomatique.
Le coup de filet mené à Auvers-sur-Oise a été interprété comme un premier signe positif à l’égard du régime iranien, qui s’en est ouvertement réjoui. La France entend reprendre une place de premier choix au Proche-Orient. La normalisation des relations franco-iraniennes pèse lourd dans la balance judiciaire. Le 27 avril 2004, le parquet de Paris décide de donner suite et ouvre une information judiciaire. Simple coïncidence? Plusieurs gros contrats viennent d’être signés entre Paris et Téhéran. Le 21 avril, Total a raflé une mise évaluée à 1,2 milliard de dollards pour le développement d’un champ gazier. Renault a remporté le marché de la production de 250.000 voitures par un an dès 2006 et 500.000 voitures dès 2008. Enfin, Alcatel est sur les rangs pour l’installation d’un nouveau système téléphonique. En 2003, le volume des échanges entre l’Iran et la France est monté de 30%.
Les opposants iraniens, à qui l’enquête ne plaît guère, estiment qu’ils font les frais d’accord politique de haut niveau. Ils révèlent l’existence d’un rapport interne du régime des mollahs, qui relate le déplacement en France de membres du ministère du Renseignement iranien entre le 12 et le 18 septembre 2003. Cette visite aurait eu pour objet d’influer sur les investigations en cours en France. Pour cela, le Conseil suprême de sécurité du gouvernement iranien a constitué une véritable «task force» et débloqué un budget d’un million de dollars prélevé sur les fonds de la présidence de la République iranienne. Au cours de leur périple, les officiels iraniens auraient rencontré des avocats «experts dans les dossiers de terrorisme» et des professeurs iraniens. Il est question de la meilleure «façon de prendre contact avec le juge et les personnes qui ont suivi le dossier». Un autre rapport, révélé par le Conseil national de la résistance iranienne, fait état cette fois-ci de rencontres entre certains responsables du régime et de «hautes autorités françaises», essentiellement au ministère des Affaires étrangères. Selon ce document, le gouvernement français aurait répondu favorablement à la demande de Téhéran de «faire comparaître les moudjahidine en justice». L’OMPI est-elle au coeur d’un «marchandage» entre la France et l’Iran?
Une chose est sûre : Téhéran est prêt à tout pour éliminer les opposants au régime basés à l’étranger. Les méthodes employées ont été parfois bien plus brutales qu’une éventuelle pression sur la justice française. L’OMPI figure, en effet, en tête de la liste noire des mollahs : «Considéré par Téhéran comme le groupe le plus dangereux et le plus opérationnel, il obsède littéralement la République islamique iranienne 1», écrit la DST. Entre 1979 et 1992, pas moins de neuf opposants ont été liquidés en France. À l’arme blanche ou au 7,65. Toujours du travail très professionnel. Cela explique l’étonnant paradoxe qui fait que le «village» iranien d’Auvers-sur-Oise est placé sous la protection constante de la gendarmerie mobile et des RG.
De son côté, le contre-espionnage français n’est pas resté inactif face aux commandos envoyés par l’Iran: «Depuis 1980, la DST a neutralisé plusieurs projets d’attentats en particulier à l’époque de Wahid Gordji (secrétaire de l’ambassade d’Iran à Paris)2.» En novembre 1992, les services français ont neutralisé un groupe de quatre agents du ministère du Renseignement, qui effectuait des «repérages opérationnels sur un opposant afin de l’assassiner».
Mais la DST semble estimer que la riposte ne se joue pas seulement sur le terrain policier. Les Lignes qui suivent sont plus proches du réquisitoire contre le gouvernement que du rapport d’enquête : «Depuis 1979, plusieurs dizaines d’opposants ont été tués à l’étranger (…). La République islamique d’Iran considère que ces actions terroristes constituent de pures questions de politique intérieure iranienne pour lesquelles les États occidentaux ne sont pas prêts à remettre gravement en cause leurs relations avec Téhéran. Ce pari politique s’est avéré jusqu’à présent exact. Aucun des quatre assassinats commis en France depuis 1990 3 n’a fait l’objet de représentations de la part des autorités françaises (…). Ce silence diplomatique après chacun des attentas est interprété au mieux comme un signe de désintérêt ou au pire comme un feu vert implicite.» Les enquêteurs préconisent donc «une attitude de fermeté diplomatique nécessaire».
À travers ses ambassades, l’Iran dispose en fait d’une véritable armée de l’ombre. Une situation dénoncée par la DST qui demande une «limitation drastique des structures officielles de la République islamique d’Iran». L’un des secrétaires de l’ambassade en poste au début des années 90 est ainsi l’homme qui « recrute et gère personnellement plusieurs agents au sein de la communauté iranienne». Une occupation très éloignée de la diplomatie officielle. Au vu et au su des autorités françaises. Depuis, les assassinats d’opposants sur le sol français ont cessé. Mais les services secrets des mollahs n’ont pas relâché la pression. Les visites régulières de la délégation du ministère du Renseignement sont là pour le rappeler.

1- «Terrorisme et ses conséquences sur les relations franco-iraniennes», note de la DST jointe au dossier de l’UCLAT du 15 septembre 1993.
2- Ibid
3- Cyrus Élahi, Rahman Adoul Boroumand, Chapour Bakhtiar et Sorouch Katibeh.

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