Société

Jbabdi : «Défendre notre modernité»

ALM : Comme avez-vous réagi à la sortie du dernier livre de Mohcine Ennadoui ? Et quel danger représentent ses écrits ?
Latifa Jbabdi : Non seulement cette littérature incarne une misogynie dans son appréciation la plus extrémiste, mais son objectif réel est de cultiver la haine et le mépris entre les deux sexes. En diabolisant la femme, en faisant d’elle une bête maléfique par essence, ces écrits légitiment toutes les formes de violence et de domination qu’elle peut subir.
S’inscrivant dans une logique toute à fait raciste, et en totale rupture de ban avec l’évolution du pays, des auteurs comme Mohcine Ennadoui créent des modèles d’apartheid à l’égard des femmes. Leur idéologie prennent racine non pas dans la religion, mais dans l’idée que l’on se fait de la religion. Le plus dramatique, c’est que nous assistons, ces dernières années, à un foisonnement inédit de ce genre de littérature. Profitant d’une inconscience collective quant aux dangers que ces livres représentent, leurs auteurs, ainsi que les circuits qui permettent leur publication et leur diffusion ont installé de véritables réseaux et conquis bien des lecteurs. Leur gravité est justement la large diffusion qu’ils connaissent. Produits pour des miettes, ces livres sont vendus pour pas cher et sont accessibles à tous, profitant en cela de tout un circuit informel de vente.

Comment expliquez-vous le large lectorat dont bénéficient ces écrits, dans un pays qui compte si peu de lecteurs ?
Malheureusement, ces affabulateurs profitent de la fragilité intellectuelle, pour ne pas dire l’ignorance de bien des lecteurs pour passer leurs messages obscurantistes. Des lecteurs aussi influençables que peu au fait des valeurs d’égalité qui doivent régner dans la société. La méconnaissance de l’islam joue également un grand rôle dans cet état de fait. Au risque de faire détourner plus d’un, non seulement de la marche que connaît le pays vers la démocratie et le respect des droits de la femme, mais aussi de nos propres traditions. Parce que même dans une société patriarcale comme la nôtre, il ne faut pas perdre de vue que la femme y a depuis toujours joué un grand rôle et a toujours été traitée avec tous les égards qui lui sont dus. Il faut parler non seulement d’une tentative de résistance de la part de certains aux choix d’avenir de notre pays, mais d’une volonté de revenir à une époque que nous n’avons finalement jamais connu au Maroc, celle de la Jahilia.

Pensez-vous qu’il s’agit d’un acte isolé et d’une résistance orchestrée au choix de la modernité par Maroc ?
Je pense que ce type d’agissement est parfaitement réfléchi. Le choix du moment ne peut donc pas être fortuit. Alors que le pays vient de connaître une révolution en matière du statut de la femme, voilà que certains veulent nous imposer une ligne de conduite totalement contraire à l’esprit nouveau dans lequel nous vivons. Il s’agit, pour moi, moins d’une action isolée que d’une offensive obscurantiste. Et ce serait une grave erreur que de croire que c’est uniquement la femme qui est concernée par ces attaques. C’est toute la société qui est visée. Le fait que de tels écrits soient publiés et diffusés dans la légalité, au nom de la liberté d’expression, repose à mon avis la responsabilité de l’Etat qui doit intervenir pour interdire la publication de telles atteintes aux droits des femmes.

L’auteur de « Les femmes sont des suppôts de satan » se distingue par son aspect branché. Peut-on parler d’un syndrome Amrou Khalid ?
Ce constat est tout à fait vrai. Et cette mutation ne date pas d’aujourd’hui. Avant, ces idées avaient pour cibles les franges les plus démunies de la société. Maintenant, ce sont les classes moyennes et les clases aisées, largement occidentalisées, que l’on veut toucher. Un changement d’objectif qui explique à bien des égards le nouveau code vestimentaire et comportemental de ces nouveaux gourous. Un changement qui obéit aussi à des règles de marketing pour mieux passer son message. En costume-cravate, ces gens-là croient, pas forcément à tort, pouvoir mieux faire passer leurs idées.  Une chose est sûre dans tout cela, c’est que les apparences sont trompeuses. Et parce que nous avons laissé ce type d’idées prendre place dans notre société, nous avons récolté des drames comme celui du 16 mai, dont nous commémorons le triste souvenir lundi prochain. Il ne faut donc plus que l’Histoire se répéte. Et il nous faut défendre les choix de la modernité de notre société.

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